Livre Pilecki Rapport
Witold Pilecki, officier polonais, se fait volontairement rafler à Varsovie pour être envoyé à Auschwitz (n°4.859) afin d'y organiser un réseau de résistance intérieur. C'est cet incroyable parcours qu'il nous raconte ici. Il a rédigé ce document en 1945, soit deux ans après son évasion (et deux ans avant sa condamnation à mort pour trahison !) Il reste au camp de septembre 40 à avril 43. A cette date, il décide finalement de s'évader, après presque 3 ans au Stammlager, du fait de la conjonction de deux faits : son réseau, patiemment construit, est peu à peu démantelé par les nombreux transferts de prisonniers polonais vers d'autres camps mais aussi -et peut-être surtout- la tête de l'organisation à Varsovie, à laquelle il fait parvenir ses rapports, ne donnera jamais son aval pour un soulèvement. Il est terrible et vertigineux de lire (année 42) : "Depuis quelques mois, nous étions capable de prendre le contrôle du camp pratiquement tous les jours. Nous attendions l'ordre de le faire. [...] Il nous fallait le soutien et l'ordre du haut commandement de l'Armée de l'Intérieur"... 
W Pilecki a logiquement construit son texte de façon chronologique, en trois parties, qui correspondent à ses années d'enfermement. Ce témoignage, très factuel et très précis, donne à voir les étapes de l'évolution de la construction matérielle du camp, mais son plus grand intérêt tient sans doute aux informations qui nous sont données quant aux modalités de fonctionnement du tout début du camp, pour lesquelles les témoignages sont fort rares.
N'ayant jamais été envoyé à Birkenau, il en est très peu question, et cela nous indique aussi, en creux, le peu de choses qu'on pouvait en savoir lorsqu'on était prisonnier au Stammlager, alors même que W Pilecki, grâce au réseau qu'il construisait jour après jour et à la variété de Kommandos de travail dans lesquels il est passé, faisait très certainement partie des mieux informés. Il n'évoque pas vraiment non plus les prisonniers du Krematoriumskommando puis des premiers Sonderkommandos à Auschwitz 1, mais peut-être n'a t-il pas eu d'informateur (dans un Leichenträgerkommando susceptible d'entrer au KI, par exemple).

 

L'écrit de W Pilecki est proposé avec de petits encarts d'informations générales, au fil du texte, sur tel ou tel aspect évoqué par l'auteur, rédigés par Isabelle Davion, Maître de conférence à la Sorbonne et membre de l'IRICE (comme Annette Wieviorka, qui, par ailleurs, signe la postface). L'idée est judicieuse, mais les informations sont parfois approximatives ou confuses, voire erronées. Par ex, si on ne considère que quelques pages, lorsqu'elle annonce "1 à 4 chambres à gaz" dans les K de Birkenau (p.173) : aux KII et III il y en avait 1 ou 2 selon les époques, et trois aux K IV et V. Elle indique la date de juillet 42 pour le premier groupe de Sonderkommando (p.175) : mais si tel était le cas, comment auraient fonctionné, avant cette date, le KI et le Bunker 1 qui étaient déjà en service ? Ou bien encore, concernant le procès d'Auschwitz à Francfort qu'elle qualifie de "procès des médecins d'Auschwitz" (p.177) : il semble qu'elle fasse confusion avec l'un des procès de Nuremberg, en effet appelé "procès des médecins".
La bibliographie annexée en fin d'ouvrage me semble également poser problème. Une première liste de 6 titres, sous l'appellation "ouvrages fondamentaux" renvoie, outre un ouvrage de Primo Levi et les volumes de Auschwitz 1940-1945 de Wacław Długoborski et Franciszek Piper, à deux textes auxquels a participé Tal Bruttmann avec Annette Wieviorka, et deux livres d'Annette Wieviorka. Les ouvrages de Hermann Langbein ou celui sur la résistance dans le camp de Józef Garliński en revanche sont étonnamment renvoyés dans les "ouvrages complémentaires" alors que ces deux auteurs sont des survivants d'Auschwitz qui ont participé à la Résistance intérieure du camp et sont devenus par la suite des historiens. Sur le sujet de la résistance dans le camp, ce sont d'évidence les ouvrages fondamentaux.

Ed Champ Vallon, coll Époques, 2014 pour la traduction française (Urszula Hyzy et Patrick Godfard), ISBN 978-2-87673-955-0.