Treblinka 2011
Cette page sera atypique sur le site, puisqu'elle ne concerne pas directement mon sujet de recherche. Il s'avère qu'au fil de mes voyages en Pologne autour de la thématique des camps et de l'extermination des populations juives et tziganes d'Europe, j'ai fini par accumuler un certain nombre d'informations et de photographies.
Je me propose d'en partager une partie ici avec vous… assortie de quelques anecdotes et commentaires.
Il ne s'agira pas du résultat de recherches spécifiques et détaillées, mais uniquement de partager ces voyages et ces images avec celles et ceux que cela intéresse, et en particulier les personnes qui souhaiteraient effectuer ces voyages mais ne le peuvent pas pour diverses raisons.

 

 [Rappel : les photos que l'on trouve sur le net, dans le présent site comme ailleurs, sont la propriété de leurs auteurs, il est donc exclu de "se servir" sans mentionner la page d'origine du site. Merci.]

 


Voilà le parcours et les douze étapes que je vais évoquer :


Carte Pologne geoatlas parcours


Commençons le voyage par Varsovie (Warszawa) et son aéroport (trad. : lotnisko).
Notre priorité, avant de pouvoir nous intéresser à quoi que ce soit, est de filer à l'extérieur fumer une cigarette. Il y a peu, il était encore possible de trouver des cafés avec espace fumeurs en Pologne. L'époque est maintenant révolue, a fortiori dans un aéroport. N'étant pas les seuls à avoir succombé aux sirènes de la nicotine, nous sommes bientôt rejoints par un Polonais d'un certain âge, cherchant à se voir offrir une cigarette. Intéressé par le fait que nous soyons Français, il entame la conversation dans un anglais fluide qui nous surprend. Lorsqu'il nous demande quels lieux nous avons projeté de visiter en Pologne, nous égrenons quelques unes de nos étapes... qui sont autant de noms de camps. Passé le moment de surprise, il s'explique la chose et nous demande confirmation : "Vous êtes Juifs ?" Notre réponse négative le laisse stupéfait et il répète "alors je ne comprends pas... je ne peux pas comprendre ça..."

Ne voyez pas de dimension anti-polonaise dans le choix de cette anecdote comme premier contact avec la Pologne. Cet homme s'attendait certainement, en toute logique, à ce que nous venions découvrir le patrimoine polonais et ses plus jolies villes, ce qui est la démarche de tout touriste. Il s'agit seulement pour moi d'évoquer ici rapidement une incompréhension que j'ai constatée maintes fois, aussi bien en France qu'ailleurs –et dont j'ai déjà parlé un peu sur le blog du site. Il semble que mener des recherches en histoire sur ces sujets, et ce depuis des années et lorsqu'on n'est pas Juif, dépasse l'entendement de beaucoup, y compris de beaucoup de Juifs. D'évidence, cette tragédie soulève pourtant des questions et des pistes de réflexion pour tout un chacun. Il me semble par ailleurs précieux que des chercheurs non Juifs soient engagés dans ces recherches, parce qu'encore plus insoupçonnables d'une involontaire subjectivité qui serait due à la défense "de leur communauté". On ne s'interrogerait pas sur mes motivations et mes aptitudes à traiter du sujet si je travaillais sur... disons "la vie quotidienne dans les ports de la Méditerranée au IXè siècle" sans être originaire d'une famille de marins, alors peut-être est-il temps d'en terminer avec ce regard soupçonneux ?

 

ETAPE 1 : TREBLINKA

photo 2011 région Treblinka


Nous allons quitter de suite Varsovie –pour mieux y revenir à la fin de la boucle de ce long parcours- et partir directement pour Treblinka. Bien que le trajet soit relativement court, il n'en est pour autant pas rapide. La circulation dans les banlieues de la capitale, comme dans beaucoup d'autres villes de Pologne, est rendue difficile par le flux de véhicules et d'importants travaux routiers (augmentation du nombre de voies, le plus souvent).

Cap vers le Nord-Est, donc, c'est-à-dire en direction de Białystok. On retrouve les maisons aux toits de plaques ondulées (bitumées ? fibrociment ?) comme partout en Pologne, et peu à peu on observe l'évolution vers une campagne souvent marécageuse. On entre ensuite dans cette épaisse forêt de conifères très hauts comme je n'en ai vu que dans l'extrême Est de la Pologne. Une forêt à perte de vue, qui évoque les familles juives qui essayèrent d'y survivre et les partisans polonais, juifs ou pas, qui s'y retrouvaient.
Les routes sont de plus en plus étroites et en mauvais état, les villages de plus en plus petits... et les cigognes de plus en plus nombreuses. On se prend à penser qu'elles pourraient l'être plus que les humains. Il semble alors évident que les nazis aient choisi de tels lieux, loin de tout, dans des villages minuscules, pour mener à bien leur volonté exterminatrice. On se sent en effet loin de tout dans cette région, c'est-à-dire -et pour les SS à l'époque certainement plus encore- à l'abri des regards du monde, à la seule vue de paysans impuissants, voire terrorisés par les représailles dont ils étaient menacés, notamment pour le moindre geste aidant vis-à-vis de familles juives. Il faut savoir que dans la Pologne sous la botte nazie, si vous étiez pris à cacher un -ou des- Juifs, cela vous condamnait à voir votre famille entière abattue et votre maison brûlée.
Certes, de nombreuses réflexions sont faites sur l'antisémitisme réel ou supposé de la population polonaise, passée ou présente. Il me semble que, toute généralisation ayant la fâcheuse tendance à être abusive, on ne peut guère tenir de propos manichéens. Des manifestations d'un violent antisémitisme ont existé et existent toujours en Pologne, les exemples ne manquent hélas pas. Il est sans doute plus complexe mais plus intéressant de chercher à cerner les racines de ce racisme, que de choisir la facilité de condamner une population en bloc, sans discernement ni réflexion. En l'occurrence, se demander qui manipule et défend cet antisémitisme et quels types de populations sont manipulables, sachant que les paroles et les actes des uns peuvent conduire les autres à de meurtriers pogroms…

Mais revenons à notre parcours.
Sans doute est-il d'ailleurs utile de préciser très clairement, à ce moment de mon récit, qu'il s'agit pour moi de vous proposer quelque chose qui se rapproche davantage d'un carnet de voyage que d'une brochure d'historiens. En ce qui concerne le fonctionnement du camp de Treblinka en particulier, je vous renvoie à la source, c'est-à-dire aux (rares) survivants et à leurs témoignages (en particulier Richard Glazar, Chil Rajchman, Jacob Wiernik –témoin au procès d'Eichmann (volume 3, session 66)- et Samuel Willenberg. Leurs livres figurent dans la rubrique correspondante de la bibliographie du site [en lien ici]).

Treblinka 2011 vaches cigognes
Dans les pâtures, aux abords de Treblinka, deux sortes d'animaux noirs et blancs
nous regardent passer placidement.

Treblinka 2011 cigognes
Les cigognes nichent dans tous les villages,
sur des plates-formes, au sommet des poteaux porteurs de fils électriques.


"J'appris que les cigognes arrivent dans le pays le jour de la St Joseph [19 mars] et portent bonheur aux toits qu'elles choisissent pour y nicher. Elles y demeurent jusqu'à la St Barthélémy [24 août], jour où les grenouilles s'enfoncent dans la vase. N'entendant plus leurs coassements, les cigognes doivent renoncer à la chasse et quitter la contrée." (du roman de Jerzy Kozinski / L'Oiseau bariolé).

Treblinka 2011 Bug
Le Bug [se prononce ≈ "Bouk"]


Et puis nous traversons le Bug avec émotion. Cette très longue rivière, très large à l'arrivée à Treblinka, et qui semble si calme, est chargée d'histoire. Elle était la frontière physique entre le Gouvernement Général (territoire de la Pologne envahie, administré par les Nazis) et la Russie Soviétique. Des Juifs racontent comment certains ont fui vers cette rivière afin de la traverser et se sentir plus à l'abri sur la rive opposée. Il s'est avéré que ce fut le cas, même si les conditions de vie n'y étaient pas évidentes, et la grande majorité des Juifs qui a tenté cette aventure risquée (cette large rivière était gardée par les Allemands) a survécu, contrairement à l'immense majorité de ceux qui sont restés dans le Gouvernement Général.

Wlodawa 2010 carte Bug
Carte indiquant le tracé de la rivière Bug (source : musée de Włodawa)


In Vie et mort d'une famille juive en Pologne, Jeanne List-Pakin, témoignant de l'histoire de sa famille, écrit : "Moshe Lancman comprit qu'il fallait désormais quitter la Pologne. Le havre le plus proche était l'Union Soviétique qui occupait la rive Est du Bug depuis le mois d'août (cf. le partage de la Pologne de par le pacte Staline-Hitler). Traverser le Bug, pour se retrouver sur la terre bénie du premier Etat socialiste, et échapper aux Allemands, hantait les esprits de milliers de jeunes Juifs. Moshe est allé à Malkinia, lieu de naissance de sa femme. Le Bug n'était qu'à quelques verstes de la demeure de sa belle-famille. A la nage ou par barque de pêcheur, on ne le saura jamais : pas de témoins du drame. Les sentinelles tiraient des deux côtés du large fleuve. Moshe est resté dans les sables fins du bord du Bug. Personne dans cette époque troublée n'est allé voir ce qu'est devenu son corps criblé de balles et Hana, sans nouvelles de son mari, comprit qu'elle était devenue veuve avec deux enfants en bas-âge, dans Varsovie devenu un repaire de loups."

Treblinka 2011 maison bois
Une fois passés au-dessus du Bug, nous sommes vraiment à Treblinka.
La majorité des maisons est en bois.

Treblinka 2011 ferme village

La plupart sont des fermes qui n'ont vraisemblablement guère changé depuis les années 40.


Jerry Koenig, enfant à l'époque, polonais et juif, témoigne (in La Voix des survivants) du fait que sa famille s'était réfugiée dans le bourg de Kosów Lacki… qui s'avère être à 8 km de Treblinka. Lorsque le camp est en usage, des amis leur parlent de ce qui s'y passe. Contrairement à beaucoup d'autres, ils les croient, et pour cause : cela explique l'épouvantable odeur qui leur parvient parfois, selon le sens du vent… Ils creuseront un abri sous la grange d'une famille de paysans du village, dans lequel ils survivront 20 mois, jusqu'à la libération.

Treblinka village 2011 paysan chevaux

En fin de journée, un paysan ramène ses chevaux de travail.

Treblinka 2011 voie ferrée Małkinia Siedlice


Si on les cherche, il est facile de retrouver des traces de la voie ferrée de la ligne Małkinia / Siedlice. En revanche, le bâtiment de la gare de Treblinka -qui s'effondrait- a été détruit voilà quelques années. L'embranchement spécifique menant au camp n'existe plus depuis longtemps, mais une carte de 1943 indique son tracé, entre le village de Treblinka et celui de Wólka Okrąglik.


Treblinka traces embranchement voie ferrée camp Treblinka embranchement voie ferrée camp


Les images ci-dessus montrent l'emplacement de cet embranchement : la voie ferrée principale poursuivait en droite ligne, la voie spécifique au camp partait sur la droite. A partir de cet aiguillage, ne restaient que deux à trois kilomètres pour atteindre le camp d'extermination.

Treblinka muzeum w Treblince


L'emplacement du camp et son musée sont donc entre ces deux villages (Treblinka et Wólka Okrąglik). Mais en fait, en ce qui concerne Treblinka, il faut différencier deux camps. On les appelle Treblinka 1 ("Arbeitslager", en allemand : camp de "travail") et Treblinka 2 ("Vernichtungslager" : camp d'extermination, relevant de la "Reinhardt Aktion" comme Belzec et Sobibor). Treblinka 1 et 2 sont environ à 2km l'un de l'autre.

Treblinka pierre entrée wejscie
"Wejscie" signifie "entrée"


Dans cette forêt sablonneuse, par ailleurs infestée de moustiques, se trouve donc un petit musée. On peut y voir une carte de "Treblinka 1" (voir plus loin sur cette même page). La création de ce premier camp date de 41. Les prisonniers en étaient des Polonais, Juifs ou non. Les uns et les autres étaient détenus dans des parties différentes du camp. Certains de ces prisonniers ont été employés à l'érection du camp Treblinka 2 (construction qui a commencé en avril 42).

Treblinka 1 Treblinka 2 carte annotée
Sur cette carte (émanant de Google earth) ont été ajoutés les emplacements de
Treblinka 1 (noté "T1") et Treblinka 2 (noté "T2").
[Les lettres de "a" à "d" renvoient à des photos et commentaires ci-dessous]



"TREBLINKA 1"


plan Treblinka 1 musée
Le commandant de Treblinka 1 était le SS Sturmbannführer Theodor van Eupen (sur l'ensemble de la période d'existence du camp, soit de 41 à 44). Il était assisté d'une vingtaine d'Allemands et de nombreux "trawnikis", gardes essentiellement Ukrainiens (du nom du lieu où ils étaient "formés").
Ce camp détenait environ mille prisonniers à la fois, mais les estimations font monter à 20.000 le nombre de prisonniers ayant eu à subir le camp, dont la moitié n'en est pas revenue. Outre les emplois –limités- dans les "magasins" et ateliers du camp (cuisines, etc), les prisonniers ont d'abord travaillé à la construction de la route menant à ce camp, la "czarna droga" (route noire). Elle est toujours visible aujourd'hui (voir photo ci-dessous).

Treblinka czarna droga route noire
Les pierres de la "czarna droga"…
(indication "a" sur la carte)


Les prisonniers étaient ensuite majoritairement envoyés à la carrière (ou gravière), à raison de 12h de travail par jour. Il leur fallait emplir des wagonnets de gravier, les acheminer par des rails à voie étroite jusqu'à la voie ferrée ordinaire et en assurer le transbordement dans des wagons. D'autres prisonniers travaillaient à la gare de Malkinia ou au bord du Bug.

żwirownia gravière Treblinka 1 2011
Les morts furent nombreux à la "żwirownia" (indication "b" sur la carte).

Treblinka 1 mémoire tombes prisonniers


Aujourd'hui, des tombes et un monument rappellent la mémoire des prisonniers qui furent enterrés en ce lieu. Il s'agissait dans un premier temps de ceux qui travaillaient à Treblinka 1 et sont morts d'épuisement, de mauvais traitements ou abattus sous divers prétextes. Plus tard, l'endroit est également devenu site d'exécution. Se sont alors ajoutés les corps de prisonniers amenés de diverses prisons de la Gestapo (notamment Pawiak, à Varsovie : voir la page concernant cette ville) qui furent abattus sur place.

Treblinka 1 tombes prisonniers
Cette photo correspond à l'indication "c" sur la carte.

Treblinka 1 baraques prisonniers 2011
Emplacements des baraques des prisonniers (indication "d" sur la carte).


Sur le panneau est écrit "Barak dla mężczyzn żydów" : baraque des hommes juifs. Les emplacements des baraques sont matérialisés au sol et certains vestiges sont toujours visibles.
A l'approche des troupes Soviétiques, il semble que les SS et les gardes assassinèrent les prisonniers restants. Le camp fut démantelé. Les Soviétiques arrivèrent fin juillet 44.

On pourra lire le témoignage de Mieczyslaw CHODZKO / Evadé de Treblinka .- Ed. Le Manuscrit et FMS, ISBN 978-2-30403222-2. Né à Lodz en 1903, son auteur est déporté d'un ghetto. Son père et sa soeur, dans le même convoi, seront envoyés directement à la mort à Treblinka 2, et lui à Treblinka 1 d'où il réussira à s'évader un an plus tard, en septembre 43.



"TREBLINKA 2"


Ce second camp est celui auquel chacun pense à l'évocation du nom de Treblinka. L'un des plans le représentant figure dans le petit musée annexé au camp, curieusement proposé en allemand et en polonais.


Treblinka 2 plan musée 2011


Un certain nombre de plans du camp ont été dessinés par des survivants. Ils permettent, outre les témoignages et dépositions, ainsi que les recherches et fouilles archéologiques, d'avoir une représentation très précise, y compris dans l'espace.

La construction de ce camp commence au printemps 42 (alors que Belzec et Sobibor entraient en fonctionnement). Son premier commandant est le SS Obersturmführer Irmfried Eberl. Comme la plupart des officiers SS des camps d'extermination, il avait auparavant été actif dans les centres d'euthanasie des malades mentaux. Dès le mois d'août, Eberl est relevé de ses fonctions par ses supérieurs car il ne parvient pas à gérer la "situation". Il est remplacé par Franz Stangl qui, lui, arrive de Sobibor. Il met en place diverses équipes de prisonniers pour le fonctionnement du camp. Ils sont près de 1.000, encadrés par 30 à 40 SS et 90 à 120 "auxiliaires" ukrainiens pour les gardes. Ensuite, d'août à novembre 43, après la période d'extermination intensive et après la révolte des prisonniers du camp, Kurt Franz succède à Franz Stangl.

Treblinka Stangl Franz photo archives
Le SS Stangl à gauche, en veste blanche, avec la cravache, et le SS Franz à droite.
(Photo d'archives, musée de Treblinka).


Le périmètre du camp, qui avait une forme de trapèze de 400m x 600, est aujourd'hui matérialisé par des pierres dressées sur son pourtour.

Treblinka pierres limites camp

Treblinka entrée camp memorial
Treblinka "camp d'extermination hitlérien".

Treblinka entrée zone camp


Et nous arrivons à la porte (construite a posteriori) indiquant l'emplacement de l'entrée du camp. Le ressenti est totalement contradictoire entre, d'une part, le poids lié à ce que l'on sait, et de l'autre le lieu tel qu'il apparaît concrètement, dans le calme total d'un milieu de forêt, durant de plaisantes journées d'été de surcroît, en ce qui nous a concerné.

Treblinka stèles memorial


Au-delà de cette porte, se trouvent des stèles, respectivement en polonais, hébreu, russe, anglais, français et allemand. En voici le texte, pour ce qui est des stèles russe et française :


Treblinka pierre memorial Russie Treblinka pierre memorial France


Le premier train de déportation arriva le 23 juillet 1942. Il provenait de Varsovie où les Juifs avaient été contraints par les Allemands de s'entasser dans un ghetto depuis l'hiver 1940 (360.000 personnes en 40, plus de 450.000 en 41).
Le 22 juillet, au ghetto de Varsovie, commença la "Große Aktion" : sous le prétexte d'un "Umsiedlung nach Osten" (transfert vers l'Est) ce sont 280.000 hommes, femmes et enfants qui seront conduits à Treblinka en deux mois. Cela signifie 5.000 personnes raflées chaque jour dans la violence et menées à l'Umschlagplatz, le lieu d'où partaient les trains. Ces trains étaient composés d'une soixantaine de wagons. Une fois arrivé à Treblinka, le convoi était scindé en groupes de vingt wagons, chaque groupe de wagons (dont 1.800 personnes environ étaient prisonnières) étant alors amené séparément et successivement devant le camp.

Treblinka Rampe arrivée convois


Ce lieu, que les SS appelaient "die Rampe" est aujourd'hui matérialisé au sol par des blocs de béton figurant les traverses de la voie ferrée et la plate-forme. A l'époque, une gare factice mais crédible (avec pendule, directions, indications "guichet", etc) avait été bâtie (hiver 42).

Treblinka zone arrivée convois memorial
Les premières pierres dressées, dans cet espace, correspondent aux pays d'origine des victimes.

Treblinka zone arrivée convois


C'est la "première zone" du camp, celle où les arrivants des convois étaient directement conduits puis séparés (ovale bleu sur le plan schématisé ci-dessous). Les femmes étaient alors menées dans une baraque où elles devaient se déshabiller puis où des prisonniers leur coupaient les cheveux. Les hommes devaient se déshabiller dans la baraque qui lui faisait face, puis plus tard à l'extérieur ("Entkleidungsplatz", n°24 du plan simplifié).
Tous étaient ensuite emmenés immédiatement aux chambres à gaz, dans la deuxième zone du camp, la "zone de mort" dite "Totenlager" (cercle orange sur le plan), celle où avaient lieu les meurtres par gazage et où étaient enfermés les prisonniers que les SS affectaient à ce "travail".
Contrairement à ce qu'on peut lire ici et là, ces hommes n'étaient pas appelés "le Sonderkommando". Ce vocable ne signifie rien d'autre en langue allemande qu'un volontairement imprécis "commando spécial". A Treblinka, comme d'ailleurs sur le front de l'Est des Einsatzgruppen, il était employé pour les SS s'occupant de l'extermination des populations juives et tziganes. A l'entrée de la zone réservée aux SS et aux gardes, figurait d'ailleurs un panneau indiquant "SS Sonderkommando Treblinka".
Cela peut, à première vue, sembler être une information accessoire, eu égard à l'ampleur des horreurs qui ont eu lieu dans ce camp. Je pense néanmoins qu'il n'en est rien. D'une part, parce qu'on ne transige pas avec la vérité, d'autre part parce que ce genre d'à-peu-près sur des sujets aussi sensibles est typiquement ce dont s'emparent des négationnistes pour appuyer leurs propos face aux plus jeunes, aux moins informés ou aux plus crédules.
Si le terme Sonderkommando n'était donc pas utilisé pour ces prisonniers à Treblinka, le rôle qui leur était imposé était néanmoins quasi identique à celui de Birkenau (à la coupe des cheveux près, notamment) : sortir les corps des chambres à gaz, prélever les bijoux et dents en or, puis brûler les cadavres (mais, dans un premier temps, jusqu'à l'hiver 42-43, comme dans les autres lieux d'extermination, les corps étaient enterrés). Ces prisonniers étaient strictement et sans exception (plus encore qu'à Birkenau) isolés de tout le reste du camp, jusqu'à ce qu'ils soient à leur tour assassinés.


Treblinka plan zones camp arrivée Totenlager SS gardes 


Le cercle violet, quant à lui, représente à la fois l'espace du camp où plusieurs centaines de prisonniers étaient gardés en vie, dans une zone clôturée bien entendu, pour les travaux de fonctionnement du camp (tri des biens des victimes ou nettoyage des wagons avant qu'ils ne repartent, par exemple) et celui où vivaient les SS et les gardes.


Treblinka maquette entrée Totenlager chambres à gaz


Différents survivants et d'anciens SS qui y ont officié ont dessiné le plan du camp. Certains survivants ont construit des maquettes. La photo ci-dessus (vision d'ouest en est) montre une portion de l'une d'elles (au musée de Treblinka). Elle permet d'expliciter le parcours des victimes, puisqu'on voit (du premier au dernier plan) : le train et la gare factice, les bâtiments de déshabillage, le "Schlauch" (couloir entre les deux zones), les bâtiments des chambres à gaz (derrière les arbres) et les fosses de crémation des corps.
Il ne reste rien de tout cela aujourd'hui. Outre diverses tentatives d'évasion, un groupe de résistance se mit en place qui fomenta une évasion collective. Celle-ci eut lieu le 02 août 43. Il y avait alors environ 1.000 prisonniers dans le camp, 2 à 300 réussirent à s'échapper, 60 environ étaient survivants en 45. Chiffres à mettre en regard des estimations du nombre de victimes du camp de Treblinka : entre 900.000 et 1.200.000.
La révolte n'avait pas détruit les chambres à gaz. Le dernier convoi arriva le 21 août 43. Les prisonniers qui n'avaient pas pu ou pas voulu s'enfuir durent démolir les différentes constructions avant d'être eux-mêmes envoyés aux chambres à gaz de Sobibor (octobre 43). Le lieu devint alors une ferme et l'un des gardes ukrainien y fut installé avec sa famille. Ils la quittèrent en 44. A partir de là, des pilleurs se précipitèrent pour fouiller le sol à la recherche d'objets de valeur : bijoux, dents en or et autres biens des victimes… (voir l'ouvrage de J. Gross sur le blog du site).

Treblinka monument memorial chambres à gaz

Le mémorial aujourd'hui est constitué d'abord de ce grand monument, à l'emplacement des chambres à gaz.


Dans la première période du camp, les chambres à gaz étaient au nombre de trois et représentaient une surface au sol de moins de 50 m². Un autre bâtiment, de dix chambres à gaz et 320 m² sera construit à l'automne 42. Dans les deux cas, le gaz utilisé provenait d'un moteur dont le monoxyde de carbone atteignait chacune des chambres par des tuyaux.

Un peu plus loin derrière, se trouve la matérialisation de ce que les SS appelaient le "Grill", c'est-à-dire un lieu où étaient brûlés les corps des victimes, là où se situaient les fosses du Totenlager :

Treblinka Totenlager grill


Ensuite, se trouvent les stèles, chacune témoignant de l'un des lieux d'origine des victimes.

Treblinka vue générale stèles


On peut voir, au musée, les documents indiquant les emplacements de chacun de ces lieux :


Treblinka plan stèles


Pour certaines, le nom de la ville est gravé. Voici la stèle du ghetto de Varsovie :

Treblinka stèle ghetto Varsovie


Les choix qui ont été faits pour ce mémorial m'ont paru tout à fait adaptés. Cette pierre énorme symbolisant le monstrueux nombre de victimes, la notion de génocide, la disparition du "yiddishland" ; et puis ces roches dressées, aux arêtes aigues, tranchantes, que j'ai interprétées, au-delà des villes et villages représentés, comme l'expression de chacune de ces vies individuelles volées au monde. Combien d'enfants ? combien de violonistes ? combien d'écrivains ?

 


Treblinka panoramique stèles
Un panoramique –avec la déformation inhérente au procédé- de l'ensemble des stèles (vue depuis le NNE).


Pour aller plus loin : une autre page du site évoque les procès de Treblinka (à Düsseldorf en 1965 et 70). Vous la trouverez en cliquant ici.

 

[Page mise en ligne en décembre 2011]