photo archives salle tribunal Lüneburg procès Belsen AuschwitzCe procès a lieu dans l’immédiat après-guerre (il débute le lundi 17 septembre 1945) par le Tribunal militaire Britannique dans la continuité de la libération du camp de Belsen. En fait, accusés comme victimes, beaucoup n’étaient à Belsen que depuis peu de temps et venaient d’autres camps du fait des évacuations devant les avancées Russes à l’Est et Alliées à l’Ouest. Cet état de fait permet des dépositions de témoins précises, concernant chacun des accusés lorsqu’ils ont eu à les voir à l’œuvre, mais cela empêche clairement –surtout concernant Auschwitz- la présence de beaucoup de témoins d’importance. Cela nous prive à la fois de nombreuses informations aujourd’hui, mais cela empêchait à l’époque de juger les accusés sur leurs véritables faits et gestes puisqu’ils n’étaient, au mieux, connus qu’en partie.

Des témoins à ce procès, je n’en évoquerai ici que quatre qui ont parlé du Sonderkommando et / ou des crématoires d’Auschwitz et Birkenau. Ils sont évidemment peu nombreux, comment pourrait-il en être autrement, à la fois du fait des conditions du procès que je viens d’évoquer, mais aussi et surtout bien entendu en raison du petit nombre de survivants qui furent témoins de l’extermination.
Il s’agit de :
* Charles Sigismond Bendel, qui fut médecin du Sonderkommando,
* Roman Sompolinski, qui dit en avoir fait partie durant deux mois,
* Adam Bimko, qui déclare avoir visité un crématoire,
* Sophia Litwinska, qui affirme avoir été sortie d’une chambre à gaz.


Déposition de
Charles Bendel


[Informations préliminaires :

  1. sur les numéros des crématoires : les témoins ne tiennent pas compte du "vieux crématoire" du camp principal (Auschwitz 1) et nomment les crématoires de Birkenau 1, 2, 3 et 4 comme le font la plupart des survivants. Contrairement à eux, les historiens ont pris l’habitude de numéroter les crématoires en partant de celui du camp souche qui porte alors l’appellation de KI. Ainsi, les crématoires de Birkenau deviennent les K II, III, IV et V. Ici lorsque C. Bendel parlera du "crématoire n° 4" il faudra donc entendre celui que l’on a coutume d’appeler "K V".
  2. Charles Bendel est un médecin qui a donc été affecté au Sonderkommando en août 44. A ce titre, il n’effectuait pas le travail qui était imposé aux Sonderkommandos mais en était soit le témoin direct, soit le dépositaire (par ce qu’il entendait dire). On verra dans son témoignage que certains éléments sont approximatifs ou peu connus de lui].


Treizième jour - Lundi 1er octobre 1945
   
CHARLES SIGSMUND BENDEL, sous serment, interrogé par le Colonel BACKHOUSE
— Je suis un médecin Roumain vivant à Paris et quand j’ai été arrêté le 4 novembre 1943, je vivais en France depuis dix ans. La raison de mon arrestation était que je ne portais pas l’étoile de David, l’étoile Juive, que j’avais obligation de porter. J’ai été emmené à un camp appelé Drancy, près de Paris, puis à Auschwitz le 10 décembre 1943, où j’ai travaillé comme maçon dans une partie du camp appelée Buna. Le 1er janvier 1944 j’ai été transféré au camp principal et le 27 février 1944 au camp des Tziganes de Birkenau où j’ai travaillé en tant que médecin. Le médecin qui était notre supérieur s’appelait le Dr. Mengele. Il était responsable de l’ensemble de la partie médicale du camp, en particulier des maladies infectieuses pour lesquelles le Professeur Epstein de Prague et moi-même l’assistions. Le Dr. Mengele prenait part aux recherches sur les injections au crématoire. Il s’agissait d’injections qui étaient supposées produire une mort instantanée, et dans le camp des Tziganes ses recherches consistaient essentiellement à mener des tests sur les jumeaux. Il poursuivait toutes sortes de tests sur ces jumeaux mais ce n’était pas assez. Il voulait les voir morts, voir en quoi ils se ressemblaient. Quand je suis arrivé dans ce camp la première fois, il y avait 11.000 occupants mais à la fin de juillet 1944, 4.300 étaient allés au crématoire. Auparavant, 1.500 avaient été sélectionnés pour des groupes de travail et tous les autres étaient morts de causes naturelles ou d’autres raisons dans le camp. Ceux qui allaient au crématoire n’en sortaient jamais vivants –ils étaient gazés.

En juin 1944, votre affectation a t-elle changé ?
—En effet, elle a changé. Le Dr. Mengele m’a fait l’honneur de me rattacher au crématoire. Les hommes qui y travaillaient étaient appelés Sonderkommando, un Kommando spécial de 900 personnes. C’étaient tous des déportés. De même qu’il y avait un Sonderkommando de prisonniers, il y avait un Sonderkommando de SS. Ils profitaient de privilèges spéciaux, par exemple d’alcool, et ils étaient complètement séparés des autres SS. Ils étaient environ 15 SS. dans ce Sonderkommando, 3 par crématoire. Les prisonniers du Sonderkommando vivaient dans le camp, dans deux blocks qui étaient toujours fermés et ils n’étaient pas autorisés à les quitter. Certains SS. du Sonderkommando étaient de service de nuit et d’autres faisaient leur service par roulement. Ils étaient toujours relevés par d’autres. Au début je vivais dans le camp avec les autres prisonniers, mais plus tard, dans le crématoire lui-même. La première fois que j’ai commencé ce travail c’était en août 1944. Personne n’avait été gazé cette fois-là mais 150 prisonniers politiques, Russes et Polonais, avaient été amenés un par un près des fosses et là ils avaient été abattus. Deux jours plus tard, alors que j’étais rattaché au groupe de jour, j’ai vu une chambre à gaz en action. Cette fois-là c’était le ghetto de Lodz – 80.000 personnes ont été gazées.
 
Voudriez-vous décrire juste ce qui s’est passé ce jour-là ? 
— Je suis arrivé à sept heures du matin avec les autres et j’ai vu de la fumée blanche qui sortait encore des tranchées [trenches : fosses de crémation], ce qui indiquait qu’un transport entier avait été liquidé ou achevé durant la nuit. Au crématoire n°4 le résultat obtenu par la combustion n’était apparemment pas suffisant. Le travail n’allait pas assez vite, alors ils creusèrent derrière le crématoire trois grandes tranchées de 12 mètres de long et 6 de large. Peu après ils ont trouvé que même les résultats obtenus avec ces trois grandes tranchées ne permettaient pas une rapidité suffisante, alors au milieu de ces grandes tranchées ils ont construit deux canaux par lesquels le gras ou la graisse humaine devait suinter afin que le travail puisse être poursuivi plus rapidement. La capacité des tranchées était presque incroyable. Le crématorium n° 4 pouvait brûler 1.000 personnes dans la journée, mais ce système de tranchées a permis de passer au même nombre en une heure.

Voudriez-vous décrire la journée de travail ?
— A sept heures du matin, le chef de la Section Politique arrivait sur sa moto pour nous dire, comme toujours, qu’un nouveau transport était arrivé. Les fosses que j’ai décrites auparavant devaient être préparées. Il fallait les nettoyer. Il fallait mettre du bois dedans et du pétrole par-dessus afin que ça brûle plus vite. Vers midi le nouveau transport arrivait, il s’agissait de 800 à 1.000 personnes. Ces gens devaient se déshabiller dans la cour du crématoire et on leur promettait un bain et un café chaud ensuite. On leur donnait l’ordre de mettre leurs affaires d’un côté et tous les objets de valeur de l’autre. Ensuite ils entraient dans une grande salle et on leur disait d’attendre jusqu’à ce que le gaz soit amené. Cinq ou dix minutes après le gaz était amené, et la pire insulte à un médecin et à l’idée de la Croix Rouge était qu’il était apporté dans une ambulance de la Croix Rouge. Ensuite les portes étaient ouvertes et les gens étaient entassés dans les chambres à gaz qui donnaient l’impression que leur toit leur tombait sur la tête, tellement il était bas. Avec des coups assénés par différentes sortes de bâtons ils étaient forcés d’entrer et de rester à l’intérieur, parce que lorsqu’ils réalisaient qu’ils allaient à la mort ils essayaient de ressortir. Finalement, ils arrivaient à fermer les portes. On entendait des pleurs et des cris et ils commençaient à se battre les uns contre les autres, en cognant contre les murs. Ca durait deux minutes et puis c’était le silence complet. Cinq minutes plus tard les portes étaient ouvertes, mais il était quasi impossible d’entrer pendant vingt minutes. Ensuite le Sonderkommando commençait son travail. Quand les portes étaient ouvertes, une masse de corps s’effondrait d’avoir été tellement comprimé. Ils étaient complètement contractés, et c’était presque impossible de les séparer les uns des autres. On avait l’impression qu’ils avaient livré un combat terrible contre la mort. Quiconque a jamais vu une chambre à gaz remplie jusqu’en haut par un mètre et demi de cadavres ne l’oubliera jamais. C’est à ce moment-là que le travail du Sonderkommando commence. Ils doivent sortir en les traînant les corps encore chauds et couverts de sang, mais avant qu’ils ne soient lancés dans les fosses ils doivent encore passer entre les mains du coiffeur et du dentiste, parce que le coiffeur coupe les cheveux et le dentiste doit extraire toutes les dents. C’est vraiment l’enfer qui commence maintenant. Le Sonderkommando essaie de travailler aussi vite que possible. Ils tirent les corps par les poignets à un rythme effréné. Je ne parviens plus à reconnaître les gens qui avaient auparavant visage humain. Ils ressemblent à des démons. Un avocat de Salonique, un ingénieur électricien de Budapest - ils ne sont plus des êtres humains parce que, même pendant le travail, des coups de bâtons et de matraques en caoutchouc leur pleuvent dessus. Pendant ce temps, ça continue à tirer sur des gens devant les fosses, des gens qu’ils ne pouvaient faire entrer dans les chambres à gaz parce qu’elles étaient bourrées. Au bout d’une heure et demie, tout le travail est terminé et un nouveau transport a été amené pour le crématoire n°4.

Qui était le commandant de Birkenau à cette époque ?
— Kramer. Je l’ai vu plusieurs fois près des crématoires.

Y avez-vous vu des médecins SS ?
— Oui, le Dr. Klein une fois quand le gaz était amené par l’ambulance à la Croix Rouge. Il en est sorti par le siège à côté du chauffeur. Je l’ai vu aussi à différentes autres occasions. 

Vous souvenez-vous du 7 octobre 1944 ?
— Oui, c’était le jour où 500 hommes du Sonderkommando auraient dû partir parce qu’on leur avait dit d’aller travailler dans un autre lieu, mais il était bien clair pour nous que c’est à leur mort qu’ils allaient. Ils ne voulaient pas partir. Ce jour-là, 100 personnes du Sonderkommando du crématoire n° 1 et  400 du crématoire n°3 furent tuées. Au n° 3 ils furent tués un par un d’un coup de pistolet mortel dans la nuque. L’autre centaine a été mise en rangs en lignes de cinq et un SS seul passait leur tirer dans la nuque. Kramer était le commandant du camp à cette époque et il était présent à ces mises à mort.

Vous souvenez-vous d’un évènement ou quatre filles furent pendues ?
— Oui, au camp des femmes à Auschwitz en décembre 1944. Elles étaient accusées de nous avoir fait passer de la dynamite dans le but de faire exploser tout le crématoire. Elles travaillaient dans une usine de munitions appelée “Union.” C’était une pendaison publique ordonnée par Hössler, qui était Lagerführer à Auschwitz. Je ne connais pas Hössler de vue, mais je reconnais le n° 1 (Kramer). Je ne reconnais personne d’autre.
 
Contre-interrogatoire du Major Winwood.
Qui était le docteur en chef à Auschwitz quand ces expériences étaient menées ?
— A Birkenau le médecin le plus haut placé était le Dr. Mengele. Le médecin en chef pour l’ensemble du camp était le Dr. Wirtz, son titre (son rang, son grade) était Stabsarzt.
 
Le Dr. Mengele recevait-il ses ordres du Dr. Wirtz ?
— Je ne sais pas.

Avez-vous pris part vous-même à ces expériences ?
— Les médecins qui étaient parmi les prisonniers ne participaient pas à ces expériences.

Sous quelle autorité était le Sonderkommando ?
— Celle du Hauptscharführer Moll. Seul Kramer était au-dessus de Moll.

Le Sonderkommando dépendait-il d’un service politique du camp d’Auschwitz ?
— Oui.
 
Ce service politique était-il la Gestapo ?
— Je ne sais pas. Les ordres pour le Sonderkommando arrivaient de la section politique.

Est-il exact que les ordres ne venaient pas du commandant de Birkenau ?
—Je sais seulement qu’ils venaient de la section politique de Birkenau.
 
Le 7 octobre 1944, est-il exact que le crématoire fut incendié ? 
— Nous avons incendié le crématoire n°3. Cinq cents personnes ont pris part à cette révolte. Ils avaient des armes à feu au crématoire n°1, mais à cause d’une mauvaise compréhension elles n’ont pas pu être utilisées, parce que les gens du crématoire n°1 ont vu trop tard l’incendie du n°3.
  
Savez-vous qui était le commandant de l’ensemble d’Auschwitz le 7 octobre 1944 ?
— Je ne pourrais pas le dire.

Vous avez dit que beaucoup de personnes du Sonderkommando avaient été abattues. Des officiers supérieurs SS étaient-ils présents ?
— Il y avait quantité de SS lors de ces exécutions. Toute une compagnie de SS est venue spécialement d’Auschwitz. Je ne connais pas la hiérarchie, mais le principal tueur était le Rottenführer Barowski.

Le Hauptsturmführer Baer, qui était commandant d’Auschwitz, était-il avec cette compagnie de S.S. ?
— Je ne sais pas.

Contre-interrogatoire du Major MUNRO
Les quatre femmes qui ont été pendues étaient-elles accusées d’avoir fourni des explosifs au Sonderkommando ?
—Oui.

Ces explosifs vous sont-ils réellement parvenus ?
— Je ne pourrais pas le dire parce que les gens qui sont considérés comme ayant eu affaire avec ces femmes avaient déjà été tués quand je suis arrivé au crématoire.
 
Les explosifs ont-ils été utilisés durant cette tentative d’évasion ?
— Non.

Savez-vous si les quatre femmes ont-été menées devant un tribunal par les Allemands ?
— Je n’en ai aucune idée.

Contre-interrogatoire du Major CRANFIELD
Le crématoire était-il gardé secret ?
— Il n’était pas secret en tant que crématoire, mais on essayait de garder secret ce qui se passait à l’intérieur. 

Quand un groupe arrivait pour la chambre à gaz, était-il amené par l’un des médecins ? 
— Non. Il y avait un S.S. devant et un derrière. C’est tout.
 
Ces groupes arrivaient-ils habituellement en camion ?
— Ca dépendait. Certains prisonniers arrivaient à pieds, d’autres, les gens malades, arrivaient en camion. Ces camions étaient tels qu’ils pouvaient benner et les chauffeurs trouvaient drôle d’utiliser cette possibilité et de déverser les gens.
 
Est-ce que les gens qui arrivaient du camp d’Auschwitz, contrairement à ceux qui arrivaient de la gare, arrivaient habituellement en camion ?
— Oui.
 
Contre-interrogatoire par le Capitaine CORBALLY
Quand les chambres à gaz et les crématoires étaient prêts à commencer le travail et qu’un nouveau transport arrivait pour le gazage, est-ce que le chef de la section politique venait au Sonderkommando et donnait ses ordres ?
— Il ne venait pas donner d’ordres, seulement l’annonce de l’arrivée d’un transport.

Contre-interrogatoire du Lieutenant  JEDRZEJOWICZ
Avez-vous jamais entendu dire, au camp de concentration d’Auschwitz, que quelqu’un soit ressorti  de la chambre à gaz ?
— Non, c’était impossible.
 
By the JUDGE ADVOCATE
Combien de crématoires y avait-il ?
— Quatre, et un qui était appelé le “Bunker,” qui était finalement une chambre à gaz. Ils étaient tous à Birkenau.

Combien de chambres à gaz y avait-il ?
— Dans chaque crématoire il y avait généralement deux chambres à gaz.
 
Quand vous êtes arrivé au Sonderkommando, quel genre de fonction étiez-vous sensé remplir en tant que médecin ?
— Au cas où quelqu’un se blessait parmi les gens du Sonderkommando. Je me souviens d’un cas où un homme en travaillant s’était brûlé les deux pieds dans la graisse humaine, elle était bouillante. Il faisait partie de mes fonctions de lui faire un pansement.


Déposition de Roman Sompolinski

[Information préliminaire sur la déposition du témoin : je n’ai traduit que les réponses concernant Auschwitz. Ce qui concerne le camp de Belsen n’est indiqué que par le […] habituel indiquant une coupure.]

Treizième jour - Lundi 1er octobre 1945    
ROMAN SOMPOLINSKI, sous serment, interrogé par le Colonel BACKHOUSE
- Je suis un Juif de Lodz, en Pologne, et j’ai été arrêté en 1939. J’ai travaillé dans différents camps et suis finalement allé à Auschwitz à l’automne 1943. J’ai été transféré à Belsen quand les troupes Russes ont été trop proches.

Voulez-vous regarder attentivement les personnes dans le box et dire si vous reconnaissez certains ?
- N°1 Kramer, n°5 Hössler, n°30 Schlomoivicz, n°32 Antoni (Aurdzieg), n°47 Anton Polanski, un bon ami à moi, n° 17 Gura, n° 4 Kraft. Kramer était le commandant du camp à Auschwitz et Belsen. Trois jours avant la libération du camp de Belsen, je suis allé à la cuisine pour rapporter de la soupe à mes amis et il y avait des pommes de terre pourries au sol. Nous avons commencé à en ramasser et Kramer s’est mis à tirer sur nous avec son pistolet. Il a tué deux d’entre nous et m’a blessé au bras.

Que pouvez-vous nous dire à propos du n°4 (Kraft) ? […]

Qu’avez-vous eu à faire avec le n°5 ?
- Il a été mon commandant au crématoire n°1 à Auschwitz. A l’automne 1943 nous sommes arrivés à la gare, mes deux frères et moi, et Hössler s’est approché de nous. Nous avons essayé de rester ensemble, mais quand j’ai dit à Hössler que c’étaient mes frères, il les a envoyés au crématoire. J’y ai été employé, au nettoyage des chambres à gaz, à la sortie des corps et à leur chargement dans des « lorries ». […]

Avez-vous connu le n°30 Schlomoivicz à Belsen ?  […]

Contre-interrogatoire du Major WINWOOD.  
Vous prétendez que deux amis ont été tués par Kramer. Quand avez-vous pensé à cette histoire ?
 - Quand j’ai été blessé moi-même.

 Je suggère que vous avez pensé à cette histoire pour la première fois cinq minutes avant de la mentionner ?
- Ce n’est pas vrai.

Est-ce que l’accusé n°4 (George Kraft) était à Belsen ? […] 

Contre-interrogatoire du Major MUNRO
Quand vous avez été séparé de vos deux frères, avez-vous vu ce qui leur est arrivé ?
- Non, tous les gens choisis par Hössler devaient aller de l’autre côté de la place et quand les camions sont arrivés, ils ont été chargés dedans et emmenés.

Quand avez-vous travaillé au crématoire ?
- A l’automne 1943, quand je suis arrivé à Auschwitz. J’y ai travaillé deux mois.

Dans la déclaration que vous avez faite à un officier Britannique, vous avez dit : "Le S.S. qui était en charge de mon groupe pour ce travail était l’Oberscharführer Moll" ?
- Avant que je ne sois transféré de mon commando précédent au Sonderkommando, c’était Moll qui en avait la charge.

"Concernant ma déposition et  ma déposition suivante, toutes deux faites le 24 mai 1945, je souhaite apporter une correction à propos de l’Oberscharführer Moll. Je me suis trompé lorsque j’ai dit qu’il était en charge de mon groupe. On m’a dit à Auschwitz qu’il avait cette charge avant que je ne sois employé aux chambres à gaz et au crématoire. Lorsque je travaillais à la chambre à gaz et au crématoire, c’était le SS Hössler qui en avait la charge. Je l’identifie comme étant le n°1 sur la photographie n°9. Je suis absolument certain que c’est lui, il n’y a pas de doute là-dessus." Avez-vous fait cette déclaration ?
-Oui.

Si vous n’avez pas de doute sur l’identité de Hössler, pourquoi avez-vous nommé Moll en tant que commandant ?
- Au début j’ai dit que mon commandant était Hössler, mais on m’a demandé qui était avant lui et j’ai dit que c’était Moll.
 
Quand vous avez finalement signé votre déposition, vous en a-t-on donné lecture ?
- J’ai fait ma déposition, on me l’a relue et je l’ai signée.

Avez-vous également dit : "Excepté pour l’Oberscharführer Moll et l’Obersturmführer Schwarz, je ne connais pas les noms des autres membres du personnel Allemand à Auschwitz" ?
- Oui.

Je suggère qu’il n’y avait pas de commandant du crématoire ou de la chambre à gaz à Auschwitz ?
- Le commandant du crématoire n°1 était Hössler.
 
Ce n’était pas Moll qui avait la charge du petit groupe de SS qui eux-mêmes avaient la charge du Sonderkommando ?
- Avant mon arrivée.

Et si Hoessler n’avait jamais été, à aucune époque, en charge du crématoire ou de la chambre à gaz ?
- C’est lui qui amenait tous les transports quand ils arrivaient à la chambre à gaz, et les remettait à quelqu’un de haut rang.

Cross-examined by Major CRANFIELD
 Quand les groupes arrivaient pour les chambres à gaz, étaient-ils accompagnés par un médecin SS., tel le Dr. Tauber ?
- Oui.

Quand la nourriture était distribuée à Belsen, est-ce que les  prisonniers se battaient pour en avoir, et pour pouvoir vérifier que chacun avait une part convenable, était-il nécessaire d’utiliser la force pour les retenir ? […]

Contre-interrogatoire du Major BROWN
[…]

Contre-interrogatoire du Capitaine NEAVE
 Vous avez reconnu l’accusé n°30 (Schlomoivicz). Combien de temps l’avez-vous connu à Auschwitz ?
- Un an.

Quand il est devenu Blockältester, a-t-il fait sortir [«parade»] tous les prisonniers du Block 12 pour leur parler ?
- Non.

Contre-interrogatoire du Capitaine PHILLIPS
Quand vous avez fait les dépositions à un officier Britannique, vous a-t-on montré des photographies ?
- Oui, dix. Il y avait cinq ou six personnes sur chaque photo. On m’a demandé si je pouvais reconnaître quelqu’un d’Auschwitz ou de Belsen.

Avez-vous reconnu quelqu’un ?  
- Oui.

Que vous a-t-on demandé ensuite ?
- Comment étaient ces gens et quelle était leur attitude envers les prisonniers. On nous demandait si nous avions vu ces gens maltraiter d’autres gens.
 
Avez-vous dit quelque chose, ou vous a-t-on demandé si vous aviez quelque chose à dire en faveur de ces personnes ?
-Oui.

Contre-interrogatoire du Lieutenant JEDRZEJOWICZ
Avez-vous connu le n°47 (Polanski) à Auschwitz ?
- Non. […]

Est-ce que les grillages [“wire”] entourant l’enceinte extérieure à Auschwitz étaient chargés de courant électrique nuit et jour ou seulement durant la nuit ?
- Pendant la journée il n’y avait pas de prisonniers dans le camp, alors les barbelés n’étaient pas électrifiés. Ils les électrifiaient le soir quand les prisonniers étaient revenus de leur travail.

Réexamen par le Colonel BACKHOUSE
Pourquoi pensez-vous que Hössler était commandant de votre crématoire ?
- Parce qu’il avait l’habitude d’amener chaque transport qui était condamné à mort au crématoire. Le crématoire n°1 était situé à un endroit tel qu’il était visible du camp des Tziganes comme du camp C.

By the JUDGE ADVOCATE
Avez-vous attrapé le typhus à Auschwitz ?
- Deux mois après avoir travaillé au crématoire.
Vous avez passé environ quatre mois à Belsen […]


Dépositions de Ada Bimko et Sophia Litwinska
[Ces témoins sont cités parce qu’ils évoquent les Sonderkommandos. Je donnerai juste ici quelques mots de la présentation qu’ils ont faite d’eux-mêmes lors de leur déposition devant le tribunal, puis le ou les extrait(s) concernés.]
Cinquième jour –Vendredi 21 septembre1945

Ada BIMKO.
Juive Polonaise, médecin. Envoyée à Auschwitz le 04 août 43 avec 5.000 autres Juifs de Sosnowietz. Environ 250 hommes et 250 femmes seront gardés en vie lors de la première sélection sur la rampe. Elle déclare que 25.000 Juifs de sa ville ont été déportés à Auschwitz cette semaine-là.

Interrogée par le colonel BACKHOUSE
Etes-vous déjà allée dans l’une des chambres à gaz ?
- Oui, en août 44, je travaillais dans une partie du camp en tant que médecin. Une nouvelle grande quantité de gens sélectionnés pour la chambre à gaz étaient arrivés, et comme ils étaient malades, ils arrivaient couverts d’une couverture. Deux jours après on nous a dit d’aller rechercher ces couvertures à la chambre à gaz. J’ai saisi l’occasion parce que j’ai toujours voulu voir de mes propres yeux cette chambre à gaz de mauvaise réputation et j’y suis rentrée. C’était un bâtiment de briques et il y avait des arbres autour d’une façon telle que ça faisait camouflage. Dans la première pièce j’ai rencontré un homme qui venait de la même ville que moi. Il y avait aussi un SS Unterscharführer qui appartenait à la Croix Rouge. On m’a dit que dans cette première grande pièce les gens laissaient leurs vêtements, et de cette pièce ils étaient conduits vers une seconde et j’ai eu l’impression que des centaines et des centaines de gens pouvaient entrer dans cette pièce tellement elle était grande. Elle ressemblait aux bains-douches ou aux sanitaires que nous avions dans le camp. Il y avait beaucoup de pommes de douche [sprays] au plafond en rangées parallèles. On fournissait à tous les gens qui entraient dans cette pièce une serviette et un morceau de savon pour qu’ils aient l’impression qu’ils allaient prendre un bain, mais pour quiconque regardait au sol il était tout à fait clair que ce n’était pas le cas parce qu’il n’y avait pas de rigoles d’écoulement. Dans cette pièce il y avait une petite porte conduisant à une pièce un peu sombre qui ressemblait à un couloir. J’ai vu quelques voies (rails) avec un petit wagon qu’ils appelaient un « lorrie » et on m’a dit que les prisonniers qui étaient déjà gazés étaient mis dans ces wagons et envoyés directement au crématoire. Je crois que le crématoire était dans le même bâtiment mais je n’ai pas vu le four moi-même. Il y avait une autre pièce à laquelle on accédait par quelques marches de la précédente [a few steps higher than this previous one] avec un plafond très bas et j’ai remarqué deux tuyaux [pipes] dont on m’a dit qu’ils contenaient le gaz. Il y avait aussi deux gros containers de métal contenant du gaz.
   
Est-ce que certains des prisonniers gardaient trace de ce qui concernait ces chambres à gaz ?
- Oui. Ils étaient de nombreux prisonniers à travailler dans ces crématoires et ce commando de travail portait le nom de Sonderkommando, unité spéciale. Ces commandos étaient changés après quelques mois parce qu’eux-mêmes étaient éliminés. Ils étaient gazés. L’un de ceux qui faisaient partie de ces commandos m’a dit que d’autres membres des commandos précédents avant d’être gazés avaient gardé trace de tous les transports qui arrivaient et étaient ensuite exterminés. Lui-même, en fait, gardait trace aussi et il a dit que le nombre de Juifs qui avaient été exterminés dans cette chambre à gaz serait d’environ quatre millions.

Septième jour - Lundi 24 septembre 1945

Sophia LITWINSKA.
Juive Polonaise, 29 ans, de Lublin. Arrêtée le 19 mai 40 avec son mari, qui était membre de l’armée Polonaise et non Juif. Après un an à Lublin, elle est transférée à Auschwitz en automne 41 où elle restera jusqu’en automne 44.

Interrogée par le Colonel BACKHOUSE
Je ne traduirai pas l’ensemble de sa déposition, mais cette femme raconte que :
Le 24 décembre 41 elle était au Block 4, le Block hôpital, où elle a été sélectionnée sous la direction de Hoessler parmi 3.000 femmes Juives. Le jour suivant, les femmes sélectionnées ont été emmenées au Block 18 puis chargées quasi-nues dans un camion. Elles ont été bennées devant le crématoire [seul existait alors le K I] puis menées dans une pièce où il y aurait eu des serviettes «et même des miroirs». Toutes les femmes criaient et pleuraient. Elle a alors vu des émanations [«fumes»] arrivant par une très petite fenêtre en haut et a commencé à étouffer. A ce moment-là elle aurait entendu appeler son nom, n’aurait eu la force que de lever le bras, que quelqu’un aurait saisi. Hössler l’aurait entourée d’une couverture et emmenée à l’hôpital sur sa moto. Elle dit qu’elle a été sortie de la chambre à gaz «parce qu’elle venait de la prison de Lublin, ce qui semblait faire une différence» et «parce que son mari était un officier Polonais».

Interrogé sur ce témoignage, Hössler répond "oui, mais c’est quelqu’un d’autre que j’ai sorti de la chambre à gaz" puis il raconte avoir vu passer le camion qui emmenait des femmes au crématoire, avoir reconnu l’une d’elles (il ne précise pas) et avoir envoyé un SS avec une moto qui se trouvait là pour la ramener et la reconduire à l’hôpital. Il ajoute pour terminer qu’elle n’était pas entrée dans la chambre à gaz. 

Je me dois de mentionner une dernière déposition, celle de Regina Bialek (28 ans, Polonaise) qui déclare également avoir été sortie in extremis d’une chambre à gaz d’Auschwitz (le 25 décembre 43). Je n’en dirai pas plus, car rien ne correspond à la réalité dans ce témoignage qui ressemble typiquement à un cauchemar, ce que l’on peut concevoir, et aussi à la déposition précédente. On peut facilement imaginer aussi que l’histoire de S. Litwinska est tellement hallucinante qu’elle se serait racontée entre les femmes du camp et qu’elle aurait pu faire impression sur R. Bialek au point de l’intégrer comme sienne du fait de l’état physique et mental dans lequel elle était inévitablement à Auschwitz. C’est en tous cas l’hypothèse que je privilégie a priori.

 

[Page mise en ligne en octobre 2007]