MEMORIAL DE LA SHOAH
17 rue Geoffroy l’Asnier    75004 - PARIS
Lundi 29 janvier 2007
Compte-rendu et digressions…

[Le photographe qui a pris ces photos vous remercie de ne pas les voler et les recadrer pour faire disparaître le logo afin de ne pas mentionner leur origine]

Shlomo Venezia Mémorial Shoah Paris 2007 Sonderkommando 1

Ce lundi 29 janvier 2007, le Mémorial a accueilli Shlomo VENEZIA pour une conférence / présentation d’ouvrage à l’occasion de la sortie de son livre :

SONDERKOMMANDO : DANS L'ENFER DES CHAMBRES A GAZ
 Albin Michel, janvier 2007, 18 €, 265 p.
Préface de Simone Veil (5 pages)
Et en annexe :
- La Shoah, Auschwitz et le Sonderkommando par Marcello Pezzetti, Directeur du Musée de la Shoah à Rome (30 pages)
- L’Italie en Grèce : petite histoire d’un grand échec par Umberto Gentiloni, Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Teramo (8 pages)
- Sur David Olère (2 pages)
- Bibliographie (3 pages).

J’ai été très honorée de pouvoir rencontrer cet homme que j’ai croisé tant de fois sur papier et dans des documentaires au fil de mes recherches. Construire peu à peu ce site est un travail plutôt ingrat. Je lis, je croise des informations, je compulse des documents d’archives, je mets en ligne une page après l’autre, je reprends certaines pages pour les modifier ou les compléter, parfois sur d’infimes détails (mais rien ne me paraît détail)… Je  mène évidemment ces activités sur mon temps libre, le plus souvent tard le soir. Alors il m’arrive de douter, voire de désespérer dans ce travail très solitaire, sans jamais savoir qui sont les visiteurs de ce site, ce qu’ils cherchent, quelles sont leurs réactions. Je sais seulement que quelques centaines de pages sont vues chaque jour.
Shlomo Véronique Mémorial Shoah Paris 2007 Sonderkommando 1
Shlomo Véronique Mémorial Shoah Paris 2007 Sonderkommando 2

Alors serrer la main de Shlomo –je me permettrai ici de l’appeler Shlomo, comme je le fais depuis longtemps lorsque je pense à lui- était pour moi quelque chose de fort, presque un acte militant. Le voir, le savoir vivant contre la volonté d’extermination nazie était un symbole puissant. Pouvoir échanger avec  sa femme et lui était donc pour moi quelque chose de considérable, au-delà même de l’existence de ce site.

Et puis nous avons été conviés à entrer dans la salle de l’Auditorium pour la conférence proprement dite. J’ai constaté avec plaisir qu’elle était pleine pour cette occasion, et remarqué, malgré sa discrétion habituelle, la présence de Henri Borland pour lequel j’éprouve un immense respect.
Et Shlomo s'est préparé à témoigner. Il a fait sur lui ce travail mystérieux mais nécessaire pour se protéger autant que faire se peut de la violence du souvenir. C'était alors un autre visage. Mais sa femme était là, au premier rang.

Shlomo Venezia Mémorial Shoah Paris 2007 Sonderkommando 2
Shlomo Venezia Singer Mémorial Shoah Paris 2007 Sonderkommando 2

Claude Singer a pris la parole pour ouvrir la conférence et animer les débats. Il est responsable notamment des activités du Mémorial avec les scolaires. 

J’ai eu plaisir à remarquer immédiatement la présence du livre de Filip Müller sur la table, dont Claude Singer a judicieusement rappelé l’existence. Membre de Sonderkommandos depuis 1942 (au KI) et jusqu’à l’évacuation du camp (au K V), Filip Müller s’est épuisé mentalement à la rédaction de cet ouvrage qui est l’un des documents les plus précieux pour l’histoire des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau, à une époque où un tel témoignage était tout à fait délicat. Il me semble n’avoir jamais reçu en retour –et toujours pas à ce jour- la reconnaissance que mérite un document aussi considérable.

Claude Singer a tout d’abord donné la parole à Béatrice Prasquier. C’est elle qui a logiquement présenté ce livre, qu’elle a construit sous forme de questions / réponses à partir de ses entretiens menés avec Shlomo et organisés de façon chronologique. Cet ouvrage sortira en italien en octobre, puis en anglais et en allemand. Elle nous a expliqué comment Shlomo témoigne désormais beaucoup, notamment dans les écoles, et pourquoi un témoignage écrit est évidemment essentiel aussi pour les historiens. Elle souligne par ailleurs que, incluant la période antérieure à sa présence à Auschwitz, il nous donne des informations précieuses sur la situation des Juifs Italiens en Grèce.

Extrait audio :

La parole est ensuite donnée à Marcello Pezzetti -Directeur du Musée de la Shoah à Rome et ami de Shlomo- qui explique comment l’histoire des Sonderkommandos est inscrite à l’intérieur de celle d’Auschwitz, et combien le témoignage de Shlomo est précis et précieux. Je me suis sentie immédiatement en accord avec la parole de cet homme sur les membres des Sonderkommandos. Bien entendu j’avais été très intéressée par la lecture de son texte dans le livre de Shlomo (même s’il accrédite la thèse du premier gazage dans les sous-sols du Block 11 en septembre et non en décembre ;-) ) et chacune de ses interventions s’est avérée intéressante et judicieuse.

Après ces introductions, la parole est donnée à Shlomo. Il va témoigner "à la demande" sur différents épisodes évoqués dans son livre en commençant par son parcours de vie et son enfance, son statut spécifique d’Italien en Grèce, puis l’occupation du pays par les Allemands en septembre 43, son arrestation à Athènes et le "voyage" jusqu’à Auschwitz des déportés de son convoi qui durera onze jours. Sa parole est claire et limpide, on y retrouve les mots de son livre. Il évite tout état d’âme et s’en tient aux faits.
Ici vous entendrez sa première intervention, où il explique qu'il avait prévu de s'adresser à nous en français....

Extrait audio :

Il donnera ensuite diverses informations sur les Sonderkommandos (figurant également dans son livre). Il parlera longuement, en alternance avec Béatrice Prasquier et Marcello Pezzetti, qui lui ménageront ainsi de petits temps de repos avec une gentillesse et une attention très perceptibles.

Blocks 11 13 BIId Birkenau Sonderkommando

Marcello Pezzetti évoquera par exemple ce qui reste visible aujourd’hui des Blocks 11 et 13 du BIId, deux Blocks isolés des autres dans lesquels ont vécu les prisonniers de la Strafkompanie et ceux du Sonderkommando. Dans cette intervention comme dans chacune de celles qu’il a faites je me reconnaîtrai, à la fois dans les réactions, les points de vue, mais également dans les ressentis (j’ai eu besoin moi aussi d’aller à cet endroit, à Birkenau...).

Parmi ce qui sera demandé à Shlomo, seront notamment évoqués sa sélection pour le Sonderkommando, sa rencontre avec Abraham Dragon à son arrivée, son premier jour au K II avec le Kapo Kaminski, le Bunker 2, … Il n’est ni possible ni raisonnable de citer tous les thèmes abordés et je ne peux que vous renvoyer à la lecture de son livre. Le témoignage de Shlomo ne se fonde que sur ses propres souvenirs, il n’évoque rien qu’il n’ait vécu lui-même, et nous "pose sur la table", comme le dit Béatrice Prasquier, tout ce qu’il sait avec une précision et une clarté remarquables.
Je regrette juste la question qui lui a été posée sur un membre de sa famille qu'il a vu arriver au crématoire, parce que c'est vraisemblablement la douleur contre laquelle il est le plus difficile de se protéger (il a déjà dû raconter cette épreuve dans "Volevo solo vivere" et elle est déjà dans son livre).

Après ce témoignage long et fatigant, il a malgré tout accepté les questions du public. Nous avons ainsi entendu Myriam Anissimov dans une double question : le devenir de la discothèque construite à Auschwitz et la convergence ou non des témoignages des différents survivants du Sonderkommando, questions auxquelles répondra Marcello Pezzetti.

Extrait audio :

Shlomo a expliqué que ce qui l’avait décidé à sortir du silence dans les années 90 pour commencer à témoigner, peut-être devrai-je plutôt dire : ce qui l’a obligé à trouver en lui-même la force de témoigner, c’est de voir ces images effrayantes que nous avons tous vues dans les stades de football italien à cette époque (supporters dans les tribunes faisant le salut nazi, etc). Marcello a ajouté que le gouvernement italien a également fait appel à Shlomo pour accompagner des étudiants à Auschwitz (décembre 92).

Inutile de dire que j’avais quantité de questions… je me suis limitée aux deux qui m’ont paru essentielles :
- celle qui concerne les manuscrits enterrés par les Sonderkommandos autour des crématoires, que l’on sait nombreux et jamais cherchés de façon systématique par les historiens et archéologues. La réponse de tous (y compris dans le public avant même la fin de ma question) a été "les Polonais ont tout pillé immédiatement après l’évacuation du camp, à la recherche d’or". Bien sûr. Nous savons tous que c’est exact. Néanmoins, cette réalité historique ne devrait pas être un masque derrière lequel se cacher pour ne pas se poser la question de fouilles systématiques. L’idée que l’on se refuse à chercher ces manuscrits enterrés que l’on sait exister est insupportable et choquante. Ce sont des documents de la première importance, et aujourd’hui nous avons les moyens techniques de sonder le sol sans creuser en tous sens. On répond désormais aussi à cette demande que trop de temps a passé et que plus rien ne peut être en état convenable et lisible. Cette réponse n'est pas acceptable. Le dernier manuscrit remonté en surface de façon naturelle est apparu en 1980. On ne saura si ces manuscrits sont lisibles que lorsqu’on les aura exhumés. En outre, ils ont le plus souvent été enterrés avec un soin considérable (les membres des Sonderkommandos étaient bien placés pour savoir combien cette terre était marécageuse) j’en veux pour preuve par exemple le témoignage de Dov Paisikovic : « Léon avait pris des notes dès le moment où il fut affecté au Sonderkommando. Il a tenu une sorte de journal et noté les crimes des SS, ainsi que les noms de certains criminels SS. De plus, il a ramassé des documents, des passeports, etc., trouvés près des vêtements des assassinés et qui lui semblaient importants. Aucun d'entre nous n'a lu ces notes, mais je savais qu'elles existaient. Le mercredi qui précéda la révolte, j'ai enfoui tous ces documents en un lieu que j'ai soigneusement conservé dans ma mémoire. Les papiers se trouvaient dans un grand récipient en verre (contenance environ cinq litres), qui avait été graissé et hermétiquement fermé. Puis nous plaçâmes ce récipient en verre dans une caisse en béton que nous avions coulée. Cette caisse en béton fut enduite de graisse à l'intérieur, puis fermée au béton. Nous y enfermâmes également des cheveux de cadavres, des dents, etc., mais par principe aucun objet de valeur, afin que ceux qui trouveraient un jour cette boîte ne soient tentés de la piller ». On m’a déjà opposé aussi le fait que "cette terre est sacrée". Certes. Mais ces textes le sont également, et peut-être plus encore…  Autour de cette thématique, Marcello Pezzetti a par ailleurs fait remarquer que l’énorme monument commémoratif s’étale jusqu’au ras des K II et III et interdit donc désormais tout accès pour ces deux lieux. Restent les K IV et V… 

- ma seconde question concernait le train du 22 juillet 44 dans lequel ont été déportés des Juifs de Corfou. Un groupe important de déportés de ce convoi aurait été affecté au Sonderkommando et tous en bloc, découvrant le travail qui leur était imposé, auraient refusé et auraient donc été gazés. Seul un survivant du Sonderkommando pourrait attester de ce fait, mais Shlomo n’en a pas été témoin. Les seuls Juifs de Corfou dont il se souvienne sont ceux qui étaient employés à l’extension de la voie ferrée à l’intérieur du camp, avec lesquels il a pu communiquer car l’extrémité de ces rails est à portée de voix des K II et III.

Alexandre Oler, le fils de David Olère, a également fait l’honneur de sa présence lors de cette conférence. Il s’est exprimé pour évoquer son père et la difficulté qu’il avait à témoigner, voire son refus de le faire, particulièrement vis-à-vis de son fils. Il a ensuite parlé des reproductions de certaines œuvres de son père figurant dans le livre de Shlomo, évoqué ses propres livres, et terminé sur son point de vue quant aux témoignages.
Shlomo a répondu de façon émouvante, en évoquant son souvenir de David Olère "l’artiste au Sonderkommando". L’œuvre de David Olère après guerre, peinte et dessinée, est en effet exceptionnelle. Il a mis toute sa compétence d’artiste au service du témoignage, et nous laisse une œuvre ayant à la fois valeur de documentaire (Marcello fera également remarquer la précision photographique parfaite des dessins) et d'une qualité artistique telle qu’elle est comparable à un témoignage oral dans sa puissance évocatrice.
C’est avec plaisir que j’ai échangé ensuite avec Alexandre Oler qui est un homme très chaleureux et très à l’écoute. J’en profite ici pour le remercier de cette attention qu’il a portée à mon travail de recherche.

Etaient perceptibles, transversalement, tout au long de cette soirée, une chaleur et une connivence très douces entre les différents participants entourant Shlomo. Je crois que chacune des personnes ayant assisté à cette conférence les aura perçues et s’en sera réjoui comme moi.

Une dernière remarque pour une jeune femme brune qui souhaitait parler un peu de ce site avec moi à l’issue de la conférence et que je n’ai pas traitée de façon convenable, préoccupée que j’étais par le souci d’échanger avec Marcello Pezzetti et Alexandre Oler avant qu’ils ne quittent la salle. Je la prie de m’excuser, et qu’elle n’hésite pas à me contacter. Il est bien évident que j’aurais grand plaisir à échanger avec toute personne intéressée par le sujet. 

Je remercie Shlomo Venezia de sa venue (inscrite dans une série de conférences qui doit être fatigante et difficile), de son abord simple et chaleureux et de sa gentillesse.
Je remercie Béatrice Prasquier pour son travail qui nous permet aujourd’hui d’avoir ce livre entre les mains.
Je remercie Marcello Pezzetti de sa présence et de ses interventions toujours intéressantes et pertinentes (il réussit par ailleurs le tour de force de les rendre à la fois joyeuses et respectueuses de la gravité des sujets évoqués).
Je remercie Claude Singer et le Mémorial de la Shoah d’avoir permis cette importante rencontre.
Enfin je remercie Patrick, qui m’accompagne et me soutient dans mon travail en restant dans l’ombre, auquel on doit ces belles photos et leur mise en ligne, et dont la présence bienveillante m’est précieuse.