Je m'appelle Henryk Tauber, je suis né le 08 juillet 1917 à Chrzanow, je suis fils d'Abraham Tauber et de Minda née Szajnowiec, célibataire, Juif de confession, de nationalité et de citoyenneté polonaise, piqueur de bottines de profession, demeurant à Chrzanow, casier judiciaire vierge.
Eléments autobiographiques :
Jusqu'au début de la guerre, en 1939, j'ai habité à Chrzanow avec ma proche famille, composée de 12 personnes. De toute la famille, deux personnes sont encore en vie, moi-même et un de mes beaux-frères. Je n'ai pas de nouvelles de mon frère émigré en Russie, je ne sais pas ce qu'il est devenu. Suite à des actions massives de déplacement et d'expropriation, ma famille a été dispersée et je me suis retrouvé dans le ghetto de Cracovie. J'ai été arrêté là-bas en novembre 1942 et enfermé à la prison au 31 rue Jozefinska, siège du service d'ordre juif. Le 19 janvier 1943, j'ai été transféré à Auschwitz avec 400 Juifs du ghetto de Cracovie et 800 Aryens de la rue Monteluppi. Ce convoi se composait d'environ 800 hommes et 400 femmes.
L’arrivée à Auschwitz et la sélection pour le Sonderkommando :
Dès la gare d'Auschwitz, les femmes ont été séparées des hommes et conduites au camp de femmes de Birkenau. Je me suis retrouvé dans un groupe de 50 prisonniers Juifs et environ 550 Aryens, placé dans le Block 27 de la section BIb [à Birkenau]. La construction de ce Block n'était pas terminée, il n'y avait ni fenêtres, ni portes, ni couchettes. Ensuite j'ai été transféré successivement aux Blocks 22 et 20 de la même section du camp. Pendant quelques jours, j'ai séjourné à Buna dont j'ai été transféré de nouveau à Birkenau et placé dans le Block 21 de la section BIb suite à une épidémie de typhus qui s'est déclarée parmi les prisonniers du groupe auquel j'appartenais.
Pendant ce temps, il a été procédé à l'enregistrement au cours duquel j'ai déclaré être serrurier mécanicien qualifié. Début février 43, sont arrivés au Block l'Unterscharführer Groll, l'Arbeitseinsatz, prisonnier Mikus, et ils ont sélectionné parmi les prisonniers de notre Block des spécialistes pour travailler, à ce qu'il paraissait, dans des ateliers à Auschwitz. Nous avons été 20 jeunes Juifs à être sélectionnés. Nous avons été conduits au Block pour être examinés par un médecin qui nous a déclarés tous en bonne santé. Le même jour, nous avons été transportés en camion, sous l'escorte des SS, à Auschwitz et placés dans le Block 11, au Bunker [cellules du sous-sol] 7. Le lendemain, nous avons été conduits, tous les 20, sous une escorte serrée de SS dans le Bunker où se trouvait, comme cela s'est avéré plus tard, le crématoire I. Là, nous avons rencontré 7 Juifs, dont Jankowski et trois Polonais. Le Kapo était Mietek Morawa de Cracovie. C'était un homme de haute taille, jeune, d'environ 24 ans, blond et mince. Un de ses frères était boxeur à Cracovie. J'ai entendu dire que sa famille habitait à Debniki. Au début, ici, dans le groupe de travail du premier crématoire à Auschwitz, c'était un Kapo très dur qui effectuait de manière réglementaire le travail imposé par les Allemands. Plus tard, il a été transféré en tant qu'Oberkapo aux crématoires II et III de Birkenau. Là-bas, il essayait de vivre en paix avec nous, car nous étions environ 400, nous y travaillions depuis déjà un long moment, nous étions fatigués, décidés à tout et ne permettions pas de nous faire marcher sur les pieds.
Le premier jour au Sonderkommando :
Le premier jour après notre arrivée aux crématoires, l'Unterscharführer dont j'ai oublié le nom, nous a tenu un discours. Il nous a dit que nous allions effectuer un travail désagréable mais qu'il fallait nous y habituer et que, quelque temps après, il ne présenterait plus aucune difficulté pour nous. Il nous parlait en Polonais. À aucun moment de son discours, il n'a dit un seul mot sur le fait que nous serions employés à l'incinération des cadavres humains. Il a terminé son discours par cet ordre : "Los an die Arbeit" en nous donnant des coups de cravache sur la tête. Ils nous ont poussés à grand renfort de coups, lui et Mietek Morawa, dans le Bunker 1 où se trouvaient plusieurs centaines de cadavres. Ils s'entassaient les uns sur les autres, sales, gelés, beaucoup étaient couverts de sang, le crâne fracassé. D'autres, visiblement après une autopsie, avaient le ventre ouvert. Ces corps étaient gelés et nous étions obligés d'utiliser des haches pour les séparer les uns des autres.
Description des fours et du procédé de crémation au K I :
Battus et bousculés par l'Unterscharführer et le Kapo Morawa, nous tirions les corps vers la hajcownia [terme utilisé par les prisonniers parlant Polonais pour désigner la salle des fours] où se trouvaient trois fours, chacun possédant deux "mufel" [moufles ou creusets]. Je désigne par le nom de "mufel", conformément à la nomenclature de la commission soviétique, des foyers servant à brûler les corps. Dans la hajcownia, nous mettions les corps dans un chariot sur rails, qui se déplaçait entre les fours. De la porte d'entrée du Bunker [désigne ici la chambre à gaz, il le précisera plus loin] où se trouvaient les corps, ce chariot roulait sur une plaque, la szajba, qui tournait dans toutes les directions et se déplaçait en biais dans la hajcownia sur des rails plus larges. De ces rails larges, couraient jusqu'à chaque four des rails plus étroits, sur lesquels roulait un chariot. Le chariot se déplaçait sur quatre petites roues en fer. Il avait un épais support métallique en forme de coffre. Pour le rendre plus lourd, on le chargeait de cailloux et de pièces en fer. La plaque du dessus était prolongée par une auge en métal longue de deux mètres environ. Nous y mettions cinq corps, d'abord deux placés les jambes vers le four le ventre vers le haut, ensuite deux autres tête-bêche, le ventre vers le haut, et le cinquième par-dessus sur le ventre, les jambes vers le four. Les bras de ce dernier corps retombaient le long des autres, ceux du dessous. Comme parfois le poids de ce chargement était supérieur au poids du support, nous étions obligés de maintenir l'auge par en dessous avec une planche, pour empêcher les corps de tomber. L'auge ainsi chargée était poussée dans le foyer. Une fois les cadavres dans le four, nous les bloquions avec une boîte placée en travers, pendant que d'autres prisonniers retiraient l'auge d'en dessous les corps. Une poignée spéciale, placée à l'extrémité de l'auge, attrapait ce pousse-boîte. Ensuite, nous refermions la porte.
La constitution du K I :
Dans le crématoire I se trouvaient deux fours à deux foyers chacun, ce que j'avais déjà mentionné. Dans chaque foyer, on pouvait faire brûler cinq cadavres. On pouvait donc brûler en même temps 30 cadavres. À l'époque où je travaillais dans ce crématoire, l'incinération d'un tel chargement prenait jusqu'à 1 h 30. En effet, c'étaient des corps maigres, de vrais squelettes, qui se consumaient très lentement. Ma pratique et des observations ultérieures dans les crématoires II et III m'ont permis de constater que les cadavres de gens gras brûlaient beaucoup plus vite. L'incinération était alors accélérée par la présence de la graisse humaine, une sorte de braise supplémentaire. L'ensemble des fours du crématoire I se trouvait dans la pièce que j'appelle hajcownia. Dans cette pièce, il y avait, près de l'entrée, un four tourné côté générateur vers la porte d'entrée, et coté foyer vers la pièce. Les deux autres au contraire avaient les foyers coté porte d'entrée et les générateurs côté pièce. Ces fours étaient alimentés avec du coke. Comme le prouvent les inscriptions qui se trouvent sur la porte de chaque four, ils ont été fabriqués par la firme "Topf und Söhne" d'Erfurt. Le chariot servant à déplacer les corps était aussi fabriqué par cette firme. Derrière la hajcownia se trouvait un petit entrepôt de coke. À côté de lui, une petite szreibsztuba [bureau des écritures] et plus loin, à droite, un entrepôt d'urnes pour les cendres humaines. La porte d'entrée qui mène dans la pièce que j'appelle hajcownia a été percée plus tard. À l'époque où je travaillais au crématoire I elle n'existait pas encore. On accédait alors à la hajcownia du couloir par une porte située à gauche de l'entrée. Il y avait deux portes comme ça. Une à droite, qui conduisait dans une petite remise où se trouvaient des grilles de rechange. Ici se déshabillaient les gens amenés en camion, de petits convois. Du temps de mon travail au crématoire I, on les fusillait dans le Bunker de ce crématoire. (Je donne le nom de Bunker à cette partie du bâtiment où on gazait les gens). Ces convois arrivaient une à deux fois par semaine et comptaient de 30 à 40 personnes, toutes nationalités confondues. Pendant qu'on fusillait ces gens, nous, qui travaillions dans le Sonderkommando, étions enfermés dans l'entrepôt de coke. Nous trouvions les corps des fusillés dans le Bunker. Ils avaient tous une plaie à l'arrière de la tête (Genickschuss). Ces exécutions étaient effectuées toujours par le même SS du bureau politique, assisté d'un autre SS de la même section qui constatait par écrit la mort des fusillés. Le Kapo Morawa n'était pas avec nous dans l'entrepôt pendant l'exécution. Je ne sais pas ce qu'il faisait pendant ce temps. Nous portions les corps encore chauds, ensanglantés, dans la hajcownia. La deuxième porte d'entrée du couloir, à droite, menait à la petite pièce où on déposait les cendres humaines. On passait par cette pièce pour entrer dans le Bunker lui-même, utilisé à l'époque où j'y travaillais, pour fusiller les victimes et avant encore, pour gazer les gens.
Fonctionnement des Sonderkommandos :
En décembre 42, on a gazé dans ce Bunker 400 prisonniers du Sonderkommando. Cela m'a été rapporté par les prisonniers qui étaient employés au crématoire I et que j'ai retrouvés là quand j'y ai été transféré moi-même. J'ai travaillé au crématoire I de début février 43 au quatre mars 43 soit plus d'un mois. Pendant toute cette période, nous sommes restés dans le Bunker 7 [cellule] du Block 11. Nous y étions 22 Juifs car début février, après l'arrivée de notre groupe de Birkenau, deux autres Juifs dentistes Tchèques y ont été transférés. Les sept Juifs que j'ai rencontrés dans le crématoire I habitaient aussi au Block 11 mais dans une autre cellule. Le Kapo Morawa habitait avec deux Polonais, Jozek et Wacek, qui travaillaient déjà au crématoire I, dans le Block 15, c'est-à-dire le Block ouvert. Au cours de ce mois-là, à part ces deux Juifs tchèques, ont été mutés dans notre groupe quatre Polonais : Staszek et Wladek dont j'ai oublié les noms ; Wladyslaw Biskup de Cracovie et Jan Agrestowski d'une commune proche de Varsovie. Je me rappelle bien leurs noms car je leur écrivais des lettres en allemand pour leurs familles. Ces quatre Polonais que je viens de mentionner habitaient aussi dans le Block 15. Au moment du départ au travail le « vieux » commando était appelé "Kommando Krematorium I". Notre groupe, c'est-à-dire nous les 22 Juifs et les quatre Polonais transférés dans notre groupe, étions nommés "Kommando Krematorium II". Nous ne comprenions pas à l'époque cette dénomination. Ce n'est que plus tard que nous avons compris qu'on nous envoyait faire un stage d'un mois au crématoire I pour nous préparer au travail dans le crématoire II.
Isolement, affectations et punitions au Sonderkommando :
Je dois souligner que les crématoires et les commandos qui y travaillaient dépendaient du bureau politique et les fiches des prisonniers membres de ces commandos, se trouvaient aussi dans ce service. Les malades n'étaient pas envoyés à l'infirmerie générale mais dans une pièce spéciale du Block aménagée en infirmerie séparée [à Birkenau]. Le Block où nous habitions était isolé des autres et à Auschwitz on nous gardait dans le Block 11 fermé. Seul un ordre du bureau politique permettait à un prisonnier d'être libéré du commando et d'être transféré dans un autre, cela dépendait de l'Arbeitsdienst. Un Juif français du nom de Pach était notre médecin. C'était un très bon spécialiste qui soignait des SS. Grâce à leur protection, il a réussi à quitter le Sonderkommando et a été transféré dans un autre Block. Lorsque le bureau politique l'a appris, Pach a de nouveau été muté dans notre service de soins, bien qu'il fût déjà depuis plusieurs mois dans le Block libre. Pendant que nous travaillions au crématoire I, l'Untersturmführer Grabner et l'Oberscharführer Quakernack entre autres, du bureau politique, contrôlaient notre travail. Je me rappelle que le Kapo Mietek s'est adressé une fois à Grabner pour lui demander de lui affecter un nouveau prisonnier car l'un de notre groupe était mort. Grabner lui a répondu qu'il ne pouvait pas lui donner un Zugang, qu'il devait tuer encore quatre Juifs et qu'alors il lui donnerait cinq Zugang. Il en a profité pour demander à Mietek avec quoi il battait ses prisonniers. Celui-ci lui a montré un bâton en bois. Grabner a attrapé alors une grille en fer et lui a dit de l'utiliser pour battre les prisonniers. Après le premier jour de travail, cinq des nôtres se sont portés malades et sont restés au Block. Le lendemain, alors que nous retirions des cadavres du Bunker du crématoire I, nous avons retrouvé leurs corps nus, sans aucune trace de balle. Je suppose qu'ils avaient été "piqués". Après un mois de travail au crématoire I, des 22 Juifs nous n'étions plus que 12. Notre groupe, y compris Wladyslaw Tomiczek de Cieszyn et les quatre Polonais déjà mentionnés, a été transféré le quatre mars 43 à Birkenau dans le Block 2 de la section BIb. C'était un Block fermé. Comme je l'ai appris plus tard, Tomiczek travaillait au crématoire déjà en 41. C'était un ancien prisonnier, il portait le numéro 1400 et quelques. Avant son affectation à notre groupe, qui a eu lieu en mars 43, il avait travaillé pendant un certain temps au moulin et aux abattoirs où il avait été arrêté avec un groupe de 40 prisonniers au motif de conspiration. Ce groupe a été transféré au Block 11 à Auschwitz et tous ont été condamnés à mort par un tribunal SS. L'Untersturmführer Grabner a reconnu Tomiczek avant l'exécution de la sentence et il l'a fait transférer dans notre groupe. Tomiczek travaillait à Birkenau comme Kapo du commando employé au crématoire II, et IV ensuite. En août 43 me semble-t-il, il a été convoqué au bureau politique. Le jour même, l'Oberscharführer Quakernack a fait apporter son cadavre que nous avons brûlé dans le crématoire V. La tête de Tomiczek était enveloppée dans un sac, mais nous l'avons tous reconnu car il était de forte corpulence. Quakernack nous a personnellement surveillés jusqu'à ce que le corps de Tomiszek fût dans le four. Il est parti immédiatement après. Alors nous avons rouvert le four, sorti le corps, enlevé le sac et reconnu parfaitement Tomiszek. C'était un homme bon, qui nous traitait bien. Nous le mettions au courant de notre activité clandestine.
Le K II :
Le 04 mars 43, escortés par des SS, nous avons été conduits sur le terrain du crématoire II. Le Kapo August, transféré à la même époque de Buchenwald où il avait travaillé au crématoire, nous a expliqué la construction de ce crématoire. Celui-ci avait un vestiaire souterrain (Auskleideraum) et un Bunker c'est-à-dire une chambre à gaz (Leichenkeller). Entre ces deux caves, il y avait un couloir auquel menait, de l'extérieur, un escalier ainsi qu'une glissière où on jetait des corps amenés du camp et destinés à l'incinération dans le crématoire. Une porte menait du vestiaire au couloir et de là, à droite, une autre donnait sur la chambre à gaz. Un autre escalier menait à ce couloir, du côté du portail de l'entrée principale sur le terrain du camp. À gauche de cet escalier, se trouvait une pièce où on mettait les cheveux, lunettes et autres objets de ce genre. Dans un coin à droite de cet escalier, se trouvait une autre petite pièce, la réserve de boîtes de gaz, je suppose. Dans l'angle droit du couloir, sur le mur en face de l'entrée du vestiaire, se trouvait un ascenseur servant à amener les cadavres. On accédait de la cour du crématoire au vestiaire par un escalier. Celui-ci était entouré d'une barrière métallique. Sur la porte était accrochée une plaque avec l'inscription en plusieurs langues : "Zum Baden und Desinfektion". Dans le vestiaire, des bancs en bois étaient disposés le long des murs et des portemanteaux en bois, numérotés. Il n'y avait aucune fenêtre et la lumière était allumée en permanence. Il y avait là une installation d'eau. Une porte, sur laquelle était inscrit "Zum Baden" en plusieurs langues aussi, donnait sur le couloir. Je me rappelle que le mot "Bania" y était inscrit aussi. Par une porte située à droite, on entrait dans la chambre à gaz. La porte, en bois, était faite de deux couches de planches courtes, posées comme l'est le parquet sur le sol. Entre ces deux couches, se trouvait un panneau en pâte isolante. Les bords de la porte et les emboîtures des chambranles étaient isolés avec des joints de feutre. À la hauteur de la tête d'un homme de taille moyenne, cette porte était munie d'une ouverture ronde avec une vitre, protégé de l'autre côté, côté chambre à gaz, d'une grille métallique en forme de demi-lune. Cette grille a été installée parce qu'il était arrivé que les gens qui se trouvaient dans la chambre à gaz avaient réussi parfois à casser la vitre avant de mourir et comme, malgré la grille, cela s'est reproduit ultérieurement, l'ouverture a été occultée par une planche ou une plaque métallique. Ici, je précise que les gens destinés au gazage et qui se trouvaient à l'intérieur de la chambre à gaz parvenaient parfois à détériorer le système de ventilation ou les câbles électriques en les arrachant. Côté couloir, la porte était fermée par des verrous en métal qui, une fois la porte fermée, étaient encore resserrés à l'aide d'écrous spéciaux pour plus d'étanchéité. Le plafond de la chambre à gaz était soutenu au milieu, dans le sens de la largeur, par quatre piliers en béton. À gauche et à droite de ces piliers se trouvaient quatre poteaux. À l'intérieur de ces poteaux, il y avait une sorte de mur en grille de métal épais qui montait jusqu'au plafond et de là, se prolongeait à l'extérieur. Derrière ce "mur", il y avait une grille à maillage plus serré et dedans, une troisième, à maillage plus serré encore. À l'intérieur de cette troisième grille, il y avait une boîte qui tournait et qui servait à enlever, à l'aide d'un fil de fer, la poudre dont le gaz s'était échappé. La chambre à gaz était munie d'une installation électrique qui courait des deux côtés, le long de la poutre maîtresse, soutenue par les piliers en béton. La ventilation était placée dans les murs de la chambre à gaz. Elle se terminait, côté chambre à gaz, par de petites ouvertures munies de grilles en fer blanc, situées à l'extrémité en haut des murs latéraux et d'autres, en bas, protégées comme par des muselières en fer. La ventilation de la chambre à gaz était liée aux systèmes de tuyaux de ventilation du vestiaire. Ce système de ventilation, qui desservait la salle d'autopsie, était actionné par des moteurs électriques placés au grenier du bâtiment du crématoire. La chambre à gaz n'avait pas d'installation d'eau. On se servait d'un tuyau d'arrosage, monté sur le robinet d'eau se trouvant dans le couloir, pour rincer le sol de la chambre à gaz. Fin 43, à l'aide d'un mur, on a partagé en deux la chambre à gaz pour permettre le gazage de convois plus petits. Ce mur était pourvu d'une même porte que la première porte d'entrée entre le couloir et la chambre. Les transports plus petits étaient gazés dans la chambre du fond, la plus éloignée du couloir. Le toit du vestiaire et de la chambre à gaz étaient tous deux recouverts à l'extérieur d'une dalle en béton, elle-même recouverte de terre où poussait l'herbe. Au-dessus de la chambre à gaz, se trouvaient des espèces de petites cheminées. C'étaient les quatre ouvertures par lesquelles on introduisait le gaz à l'intérieur. Elles étaient refermées chacune par un clapet en béton, muni d'une poignée en bois de la largeur de deux mains. Le terrain au-dessus du vestiaire, complètement plat, était légèrement surélevé par rapport au niveau de la cour. Les tuyaux de ventilation aboutissaient aux conduits et aux cheminées dans le bâtiment situé au-dessus du couloir et du vestiaire. Je précise qu'au début il n'y avait ni bancs dans le vestiaire, ni pommes de douche dans la chambre à gaz. Les deux ont été installés seulement à l'automne 43 pour faire croire que c'étaient bien des douches et une pièce de désinfection et non un vestiaire et une chambre à gaz. Les pommes de douche ont été montées sur des cubes en bois, placés à cet effet dans le plafond en béton de la chambre à gaz. Aucune arrivée d'eau n'y a jamais été installée et l'eau n'a donc jamais coulé de ces douches.
La salle des fours du KII :
Comme je l'ai déjà mentionné, il y avait un ascenseur dans le couloir ou plus exactement, un monte-charge permettant d'amener les cadavres jusqu'au niveau du rez-de-chaussée. De là, une première porte menait à la hajcownia où se trouvaient les fours crématoires et une deuxième, en direction opposée, qui menait à une pièce supplémentaire où on entreposait des cadavres. Il y avait là, en plus, un couloir auquel on accédait directement par une porte située du côté du portail de l'entrée principale du crématoire. Par la porte située à droite dans le couloir, on entrait dans la salle d'autopsie. Entre cette dernière et la pièce à cadavres, il y avait des toilettes où on entrait de la salle d'autopsie. Par la porte située à gauche dans le couloir, on entrait dans la hajcownia, côté générateurs des fours crématoires. Ces fours, au nombre de cinq, alignés côte à côte et à une distance égale l'un de l'autre, étaient alimentés par deux générateurs chacun. De l'autre côté, du côté donc de la sortie de l'ascenseur, ces fours avaient chacun trois foyers. Dans chaque foyer, fermé chacun par une porte où figurait le nom de "Topf", on mettait cinq cadavres. Sous chaque foyer, il y avait un cendrier, fermé lui aussi par une porte avec la même inscription dessus.
Les autres pièces :
Derrière les fours, côté portail d'entrée dans la cour du crématoire, se trouvait un entrepôt de coke. Plus loin, en avançant vers le fond de la cour, derrière cette remise, il y avait un petit couloir étroit d'où on accédait à une pièce destinée aux SS. Celle-ci avait deux fenêtres, l'une qui donnait sur la hajcownia côté foyers, l'autre sur la cour arrière du crématoire. À côté de cette pièce, il y avait celle du Kommandoführer, avec une seule fenêtre, donnant sur la cour arrière. Après cette pièce se trouvaient des toilettes et un petit lavabo et plus loin, c'était la pièce des médecins avec une fenêtre donnant sur le camp des femmes. Un escalier menait de ce couloir au grenier où se trouvait la salle destinée aux prisonniers du Sonderkommando. S'y trouvaient aussi les moteurs électriques qui faisaient fonctionner l'ascenseur et la ventilation. Un prisonnier mécanicien était affecté à les faire fonctionner.
L’annexe du Mühlverbrennung et la cheminée :
Côté portail principal du crématoire, il y avait, au milieu du bâtiment et dépassant vers l'avant, une annexe contenant le four pour brûler les ordures. C'était le Mühlverbrennung. C'était un four séparé auquel on accédait par un escalier menant vers le bas. Il était entouré d'une rampe en fer et on le chauffait au charbon. On accédait à l'annexe du Mühlverbrennung par une porte du côté du portail principal du crématoire. Outre une porte d'entrée, cette annexe avait, côté frontal, une fenêtre et en plus une fenêtre de chaque côté de l'entrée, à gauche et à droite. Dans le coin à gauche de l'entrée, il y avait une ouverture par laquelle on jetait dans le cendrier les ordures à brûler. Le four où on brûlait ces ordures était situé à gauche de l'entrée de cette annexe et à droite était le foyer pour faire chauffer le four. Je précise que c'est dans ce four justement qu'on brûlait pendant tout ce temps des documents en provenance du bureau politique du camp. De temps en temps, les SS amenaient dans des camions des dossiers, papiers, fichiers et documents, que nous brûlions sous leur surveillance. En brûlant ces documents, j'ai remarqué qu'il y avait là des tas de fichiers des gens morts et des Totenmeldung. Bien sûr nous ne pouvions prendre aucun de ces documents, car nous les brûlions sous une surveillance directe et stricte des SS. Derrière l'annexe du Mühlverbrennung, plus loin vers le fond du crématoire, se trouvait la cheminée qui desservait tous les fours crématoires et le four du Mühlverbrennung. Au début, il y avait autour de cette cheminée trois moteurs électriques pour la faire mieux tirer. À cause de la chaleur qui régnait juste à côté mais aussi à proximité du four, ces moteurs tombaient en panne. Une fois même, un incendie a éclaté ; on les a donc démontés et ensuite les conduits des gaz d'échappement des fours donnaient directement dans la cheminée. De l'annexe du Mühlverbrennung, une porte menait à cette partie du bâtiment où se trouvait la cheminée. Cette partie était surélevée et on y accédait par un escalier. Après le démontage des moteurs, des lavabos ont été installés sur un emplacement près de la cheminée pour les prisonniers du Sonderkommando et sur un autre, à l'opposé, donc plus près du vestiaire, une pièce a été aménagée où dormait parfois l'Oberkapo August. D'habitude, il dormait dans le Block des Reichsdeutscher, d'abord dans le secteur BIb, ensuite dans le secteur BIId. Dans le grenier au-dessus du Mühlverbrennung on faisait sécher les cheveux coupés aux victimes, on les aérait avant de les emballer dans des sacs emportés ensuite en voiture.
Le fonctionnement des fours du K II :
Comme je l'ai déjà mentionné plus haut, le crématoire II avait cinq fours. Chaque four, alimenté par deux générateurs à coke, avait trois foyers pour brûler les cadavres. Les sorties des conduits à feu de ces générateurs se trouvaient au-dessus des cendriers des deux foyers latéraux, placés de manière à faire passer le feu d'abord dans les deux foyers latéraux, le faire pénétrer ensuite dans le foyer du milieu et, de là, faire évacuer les gaz d'échappement en direction de la cheminée, par un conduit orienté vers le bas. La sortie du conduit des gaz d'échappement se situait côté foyer, au-dessous du four crématoire, entre les deux générateurs. Du fait de cette disposition, le processus d'incinération des corps n'était pas le même dans les foyers situés sur les côtés et dans celui du milieu. Les corps des "musulmans" c'est-à-dire les corps très maigres et dépourvus de graisse, brûlaient plus vite dans les foyers latéraux et moins bien dans celui du milieu. Inversement, les corps de ceux qu'on a gazés directement après leur arrivée, qui n'étaient donc pas amaigris, brûlaient mieux dans le foyer du milieu. Pour brûler ces corps, nous n'utilisions du coke qu'au début, pour attiser le feu. En effet, les corps gras brûlaient seuls, grâce à la graisse qui se consumait à l'intérieur du corps. En cas de manque de coke, il nous arrivait même de mettre de la paille et du bois dans les cendriers sous les foyers et, dès que la graisse des corps commençait à brûler, les chargements entiers se consumaient d'eux-mêmes. À l'intérieur du foyer, il n'y avait aucune pièce en fer, les grilles étaient réfractaires. En effet, la chaleur qui se dégageait et qui avoisinait les 1000 à 1200° C aurait fait fendre le fer. Les grilles étaient placées en travers dans le foyer. La porte d'accès et l'ouverture du foyer étaient plus petites, le foyer lui-même était long d'environ deux mètres, large de 80 cm et haut d'environ un mètre. En règle générale, on brûlait dans un foyer de quatre à cinq cadavres. Il arrivait que nous y enfournions même davantage. On y mettait jusqu'à huit "musulmans". Nous brûlions de tels chargements importants pendant des alertes antiaériennes sans en informer le chef du crématoire. Nous voulions en effet que la fumée qui s'échappait de la cheminée fut la plus grande possible pour la faire remarquer des pilotes d'avion. Nous espérions provoquer ainsi un changement dans nos existences. Les parties en fer, et surtout les grilles en fer, qui se trouvent à ce jour sur le terrain du camp proviennent des générateurs. Le crématoire II était muni de grilles en fer équarri, épaisses, et les crématoires IV et V possédaient des grilles-lances en forme d'épée avec une poignée.
Une « démonstration » pour le bureau politique :
Le 4 mars, nous avons été employés à faire chauffer les générateurs. Nous l'avons fait du matin jusqu'à environ quatre heures de l'après-midi. Une commission du bureau politique, accompagnée d'officiers SS de haut rang venant de Berlin, est arrivée au crématoire. Des civils et des ingénieurs de chez "Topf" y participaient aussi. Je me souviens seulement de quelques personnes, membres de la commission, comme l'Hauptscharführer Sohraz ... (illisible), le Lagerkommandant Aumeier et l'Oberscharführer Quakernack. Dès l'arrivée de la commission, on nous a ordonné de sortir des corps de la remise à cadavres et de les mettre dans les foyers. Nous avons trouvé dans cette pièce environ 45 hommes, bien nourris et gras. J'ignorais alors comment et quand ces corps y avaient été mis. Plus tard seulement j'ai appris qu'ils avaient été sélectionnés parmi les gazés du Bunker 2 situé dans la forêt. En effet, un officier SS du bureau politique y était allé et avait ordonné de choisir, parmi les gazés, des corps de personnes bien faites et grasses, les a fait charger dans des camions et les a fait emporter en dehors du Bunker. Les prisonniers du Sonderkommando qui y travaillaient ne savaient pas où ces corps avaient été emportés. Il s'est avéré qu'ils allaient être utilisés pour essayer les fours et faire une démonstration devant la nombreuse commission du bon fonctionnement du crématoire II qu'on s'apprêtait alors à mettre en service. De l'ascenseur et par la porte qui menait à la hajcownia, nous avons sorti ces corps et les avons placés, par deux ou trois, sur un chariot semblable à celui que j'ai décrit à propos du crématoire I et nous les avons enfournés dans chacun des foyers. Une fois tous ces cadavres placés dans les foyers des cinq fours, les membres de la commission, montre en main, se sont mis à observer le déroulement du processus d'incinération. Ils ouvraient les portes, regardaient leurs montres, discutaient entre eux et s'étonnaient de voir que cela durait si longtemps. Étant donné que ces fours étaient complètement neufs et donc pas assez chauds, alors même qu'on les avait fait chauffer depuis le matin, l'incinération du chargement a pris 40 minutes. Le fonctionnement en continu des fours permettait d'effectuer deux chargements en une heure. Selon le règlement, nous devions mettre de nouveaux corps toutes les demi-heures. L'Oberkapo August nous expliquait que, selon les calculs et les plans effectués, de cinq à sept minutes étaient prévues pour brûler un corps dans un foyer. En règle générale, il nous interdisait de mettre plus de trois cadavres dans un foyer. Avec une telle quantité, nous aurions été obligés de travailler sans arrêt : après avoir chargé le dernier foyer, le chargement du premier aurait déjà brûlé. Pour nous ménager un temps de répit dans le travail, nous mettions dans chacun de quatre à cinq cadavres. L'incinération durait plus longtemps et nous avions quelques minutes d'interruption avant la fin du processus dans le premier foyer. Nous en profitions pour arroser le sol de la hajkownia, ce qui assainissait un peu l'air.
Une fois terminée l'incinération de ce premier chargement d'essais, la commission est repartie. Nous avons fait le ménage dans le crématoire et après nous être lavés, nous avons été reconduits au Block 2 du camp BIb. Durant les 10 jours qui ont suivi, nous allions tous les jours, toujours escortés par des SS, au crématoire, et faisions marcher les générateurs. Pendant cette période, il n'y avait pas de transports, nous ne brûlions pas de corps et les générateurs fonctionnaient pour faire chauffer les fours.
Un transport particulier en mars 43 :
À la mi-mars 43, un soir, alors que nous venions de terminer notre travail, l'Hauptscharführer Hirsch est arrivé et nous a ordonné de rester au crématoire pour travailler. À la tombée de la nuit, des camions sont arrivés avec des gens, tous âges et sexes confondus : des hommes âgés, des femmes et beaucoup d'enfants. Les camions faisaient en continu des aller retours en direction de la gare pendant une heure environ et amenaient de plus en plus de gens. Dès le début, nous, qui appartenions au Sonderkommando, avions été enfermés dans la pièce du fond, celle où habitaient les médecins légistes. Des cris et des pleurs des gens déchargés des camions nous parvenaient jusque dans cette pièce. Ces gens étaient poussés à grand renfort de coups dans la baraque, située à l'époque perpendiculairement au bâtiment du crématoire, côté portail principal du crématoire II. Les gens y entraient par une porte située du côté de ce portail, descendaient par un escalier en face du Mühlverbrennung. Cette baraque faisait alors office de vestiaire. Mais elle a été utilisée seulement pendant une semaine à peu près et démontée ensuite. Après le démontage de cette baraque, les gens étaient poussés dans le sous-sol du crématoire par l'escalier qui menait au vestiaire souterrain que j'ai décrit auparavant. Après une attente d'environ deux heures, on nous a fait sortir de la salle des médecins légistes et on nous a ordonné de nous rendre dans la chambre à gaz. Il y avait là des tas de cadavres nus, tous dans une position on dirait assis. Les corps étaient de couleur rose, par endroits un peu plus rouges et ailleurs avec des taches verdâtres, de la bave au coin des lèvres, certains avec du sang coulant du nez, dans la plupart des cas, on voyait des selles. Je me rappelle que de nombreuses personnes avaient les yeux ouverts et étaient accrochées les unes aux autres ; le plus grand tas de corps se trouvait près de la porte. Ils étaient moins nombreux près des piliers avec le grillage. La position de leur corps indiquait que ces gens avaient essayé de fuir ces piliers pour parvenir à la porte. Il faisait très chaud dans la chambre à gaz et c'était difficile à supporter. Nous avons constaté plus tard que beaucoup de ces gens étaient morts par asphyxie avant d'être gazés. Ces gens-là étaient couchés tout au fond, en dessous, et les autres les avaient piétinés. Ils n'étaient pas assis comme la plupart mais couchés tout en dessous. On pouvait en déduire qu'ils étaient morts avant les autres qui devaient marcher sur leurs cadavres. Après avoir entassé les gens dans la chambre à gaz et fermé la porte, et avant de verser le zyklon, on aspirait l'air de la chambre avec la ventilation. C'était un système aspirant et foulant. Le vestiaire avait seulement la ventilation aspirante. Bien qu'on mît en marche la ventilation dès l'ouverture de la chambre, une fois à l'intérieur de la chambre, nous portions des masques à gaz pendant les premiers moments où nous y entrions pour sortir les cadavres. Comme nous étions obligés de retourner travailler au four, nous n'avons pas sorti les cadavres de ce premier transport en mars 43. On a fait alors venir 70 prisonniers du Block 2 appartenant au Sonderkommando, préposés à incinérer les corps dans les fosses près des Bunkers. Les prisonniers de ce groupe sortaient les corps de la chambre à gaz dans le couloir à côté de l'ascenseur, là, le coiffeur coupait les cheveux des femmes, ensuite on faisait monter les corps par l'ascenseur dans la hajkownia. Là, soit-on les entreposait dans la pièce à cadavres, soit on les mettait dans la hajkownia devant les fours. Là, deux dentistes, surveillés par des SS, arrachaient les dents en métal et enlevaient les dentiers. Ce sont eux aussi qui débarrassaient les cadavres de bagues et de boucles d'oreilles. On jetait les dents dans un coffre portant l'inscription Zahnartstation et les bijoux dans un autre. Celui-ci n'avait aucune inscription, mais un numéro y était marqué. Les dentistes, qui étaient recrutés parmi les prisonniers, regardaient dans la bouche de chaque cadavre, à l'exception des enfants. Lorsque les mâchoires étaient crispées, ils les desserraient à l'aide des pinces dont ils se servaient pour arracher les dents. Comme je l'ai déjà mentionné, le travail effectué par les dentistes était très étroitement surveillé par les SS. De temps en temps, ils faisaient arrêter le chargement des corps dans les fours, corps déjà "travaillés" par les dentistes, et regardaient dans les bouches. Il arrivait qu'une dent en or n'avait pas été arrachée. Un tel oubli était considéré comme du sabotage.
Meurtre et tortures des membres des Sonderkommandos :
J'ai été moi-même témoin d'une telle scène où un Juif Français avait été brûlé dans le crématoire V. Il se débattait, criait, mais les SS, à plusieurs, l'ont attrapé, immobilisé et mis vivant dans le four. Brûler quelqu'un vivant était une punition utilisée souvent à l'égard des membres du Sonderkommando, mais pas la seule. D'autres tortures étaient pratiquées aussi : tuer sur place, jeter dans le réservoir d'eau, maltraiter physiquement, battre, obliger à se rouler nu sur le sol, sur le gravier, etc... Tous les membres du Sonderkommando y assistaient pour l'effet de dissuasion.
Je me souviens d'un autre cas qui a eu lieu au crématoire V en août 44. On a trouvé alors une bague et une montre en or sur un des simples ouvriers, un Juif de Wolbrom du nom de Lejb, âgé d'environ 20 ans, de petite taille, aux cheveux bruns, matricule 108 000 et quelques. On a donc fait regrouper toute l’équipe du Sonderkommando employée aux crématoires et, devant tout le monde, on l'a suspendu sur une barre de fer au-dessus des générateurs, les mains ligotées dans le dos. Il y est resté ainsi accroché environ une heure. Ensuite, après avoir défait les liens de ses mains et de ses pieds, on l'a mis dans le four crématoire non chauffé. Par en-dessous le cendrier, on allumait et on éteignait de l'essence pour faire pénétrer les flammes à l'intérieur du foyer où se trouvait ce Lejb. Quelques minutes plus tard, on a ouvert le four d'où le condamné est sorti en courant, complètement brûlé. On l'a fait courir autour de la cour du crématoire et crier qu'il était un voleur. Ensuite, on lui a ordonné de grimper sur les barbelés de la clôture du crématoire qui, du fait que c'était en plein jour, n'étaient pas sous tension électrique. Lorsqu'il était tout en haut des barbelés, le chef du crématoire, Moll, l'a tué. Le prénom de Moll était Otto.
Une autre fois, les SS ont amené un prisonnier qui traînait dans son travail et l'ont jeté dans la fosse remplie de graisse humaine bouillante. À l'époque, on brûlait les corps dans des fosses ouvertes, d'où la graisse humaine s'écoulait vers une deuxième fosse, dans la terre, séparée. On versait cette graisse sur les corps à brûler pour accélérer le processus d'incinération. Le malheureux a été retiré encore vivant de cette fosse à graisse et tué. Par pure formalité, on a ramené son corps au Block, on y a établi un Totenschein et seulement le lendemain on a transporté le corps au crématoire et on l’a brûlé dans la fosse.
Mars à avril 43 au K II :
Nous avons travaillé pendant 48 heures d'affilée à incinérer les corps de ce premier transport à la mi-mars 43. Nous ne sommes pas parvenus à les brûler tous, car entre-temps est arrivé un convoi de Grèce qui avait été gazé lui aussi. Comme nous étions trop fatigués, épuisés, on nous a ramenés au Block et le travail a été repris par une autre relève. Le Sonderkommando qui travaillait alors au crématoire comptait environ 400 prisonniers. J'ai travaillé au crématoire II jusqu'à la mi-avril à peu près. Pendant ce temps, arrivaient des convois de Grecs, Français et Hollandais. En plus, nous brûlions à ce moment-là des gens gazés qui provenaient des sélections menées à l'intérieur du camp. Nous travaillions en continu, en deux relèves, nuit et jour. Je ne peux pas donner le nombre de gazés et brûlés à cette époque-là. En moyenne, on brûlait environ 2 500 cadavres en 24 heures. Je n'avais pas à ce moment-là la possibilité d'observer comment on faisait rentrer les victimes dans le vestiaire et du vestiaire dans les chambres à gaz. Lorsque les convois arrivaient, nous, l'équipe du Sonderkommando, étions enfermés dans l'entrepôt de coke. Toutefois, deux d'entre nous, préposés au fonctionnement des générateurs, restaient dans la hajcownia. Il m'est arrivé parfois de faire partie de cette équipe.
Le versement du Zyklon :
Par la fenêtre de la hajcownia, j'ai observé comment était versé le zyklon dans la chambre à gaz. Chaque transport était suivi d'une voiture de la Croix-Rouge. Mengele, le médecin du camp, arrivait dans cette voiture sur le terrain du crématoire, accompagné du Rottenfüher Scheinmetz. Ils sortaient des boîtes de zyklon de cette voiture de la Croix-Rouge dans laquelle ils venaient d'arriver, les portaient près des cheminées qu'on utilisait pour verser le zyklon dans la chambre à gaz. Scheimetz les ouvrait à l'aide d'un ciseau spécial et d'un marteau, puis il versait leur contenu dans la chambre à gaz et refermait l'ouverture avec un couvercle en béton. Comme je l'ai déjà mentionné, il y en avait quatre, de ces cheminées. Dans chacune d'entre elles, Scheimetz versait le contenu d'une plus petite boîte. C'étaient des boîtes avec une étiquette jaune. Avant d'en ouvrir une, il mettait un masque à gaz. Le masque à gaz sur la tête, il ouvrait la boîte de zyklon, vidait son contenu dans la cheminée de la chambre à gaz. À part Scheinmetz, d'autres SS remplissaient cette tâche aussi. Ils y étaient spécialement affectés et appartenaient à l'unité Gesundheitowesen. Je ne me rappelle pas leur nom. Un médecin du camp assistait à chaque gazage. J'ai déjà mentionné Mengele, car je l'ai très souvent rencontré pendant le temps de mon travail. À part lui, d'autres médecins du camp assistaient au gazage : König, Thilo et encore un autre, mince, de haute taille, jeune et dont je me rappelle pas le nom maintenant. C'était celui qui, lors des sélections, envoyait tout le monde à la chambre à gaz. Je me souviens avoir entendu une fois Mengele dire à Scheimetz de "donner plus vite à bouffer aux victimes dans la chambre à gaz pour qu'elles pussent aller à Katowice". Il a dit exactement : "Scheimetz, gibt ihnen das Fressen, sie sollen direckt nach Kattowitz fahren". Ce qui voulait dire que Scheimetz devait se dépêcher de verser le Zyklon dans la chambre à gaz. J'ai aussi remarqué pendant mon travail au crématoire II que les SS qui escortaient les convois arrivant au crématoire avaient des chiens et tenaient des cravaches à la main.
Procédés dans la hajcownia :
Le chariot pour charger les corps n'a été utilisé que peu de temps au crématoire II. Il a été remplacé par une civière en fer (en allemand, on l'appelait Leichenbrett) que l'on faisait glisser dans le foyer sur des roues en fer placées sur le rebord de la porte du foyer. On l'a fait parce que l'utilisation du chariot retardait le chargement du four. Ce nouvel outil a été inventé par l'Oberkapo August, me semble-t-il. Il a été utilisé par la suite dans tous les crématoires. Pour tous les fours des crématoires II et III, il n'y avait qu'une paire de roues pour les trois foyers qu'on déplaçait sur une barre en fer devant la porte du foyer. Dans les crématoires IV et V, chaque foyer possédait ses propres roues montées sur une table devant la porte. Chaque crématoire possédait deux civières en fer pour charger les corps dans les fours. Ces "planches" étaient placées devant le foyer.
Brûler les corps :
Deux prisonniers y mettaient un corps. Ils le plaçaient sur le dos, les jambes en avant, vers le foyer, le visage vers le haut. Sur ce corps, ils en mettaient un autre, le visage vers le haut aussi, la tête côté foyer. On procédait de la sorte car ce deuxième corps maintenait les jambes du premier, placé en dessous, et aussi pour ne pas être obligé de pousser les jambes du deuxième corps qui était comme aspirées par le four. Deux prisonniers chargeaient les corps sur la civière, deux autres étaient à côté de la barre placée sous la civière, à l'autre extrémité plus près du foyer. Pendant qu'on chargeait les corps sur la civière, l'un d'eux ouvrait la porte et l'autre installait les roues. Un 5è prisonnier soulevait la civière à l'aide de poignées et, une fois celle-ci soulevée par les deux précédents et placée sur les deux roues, il poussait la civière à l'intérieur du foyer. Une fois les corps dedans, un 6è prisonnier les retenait au fond du foyer à l'aide d'une ratissoire et le cinquième retirait la civière de sous les corps. Ce sixième avait aussi pour tâche d'asperger d'eau la civière sortie du four. Il le faisait pour faire refroidir la civière qui se réchauffait à l'intérieur du four et pour empêcher de coller les nouveaux corps placés dessus. On faisait dissoudre du savon dans cette eau pour faire glisser les corps plus facilement sur la civière. Un deuxième chargement dans le même foyer, par le même processus d'incinération, se déroulait de la même manière, sauf que nous devions nous dépêcher beaucoup avec ce deuxième chargement car le premier étant en train de brûler, les jambes et les bras se soulevaient et en cas de retard, nous avions des difficultés à enfourner la deuxième paire de cadavres. Lors du chargement de cette deuxième paire, j'ai eu l'occasion d'observer le processus d'incinération des cadavres. On avait l'impression que les corps se tendaient au niveau du tronc, les bras se relevaient vers le haut en raccourcissant, la même chose pour les jambes. Des cloques se formaient sur le corps et, quand c'étaient des personnes âgées, restées après le gazage jusqu'à même deux jours dans la remise à cadavres et dont les corps, tuméfiés, avaient gonflé, leur diaphragme éclatait, laissant sortir les intestins. J'ai pu aussi observer ce processus au moment de ratisser le four pour faire accélérer l'incinération. De toute façon, après chaque chargement le Kommandoführer vérifiait si celui-ci avait été correctement effectué. Nous étions obligés d'ouvrir la porte de chaque foyer et par la même occasion, nous pouvions voir ce qui s'y passait. Nous brûlions les corps d'enfants en même temps que ceux des adultes âgés. D'abord nous mettions les corps de deux adultes et ensuite autant d'enfants qu'il était possible de mettre dans le foyer. Le plus souvent, les corps de cinq à six enfants. Nous procédions de la sorte pour ne pas mettre les corps d'enfants directement sur les grilles. Ces dernières étant largement espacées, les corps d'enfants risquaient de tomber dans le cendrier. Les corps de femmes brûlaient nettement plus vite et mieux que les corps d'hommes. C'est pour cette raison que nous recherchions un corps de femme lorsque le convoi brûlait mal et nous le mettions dans le four pour accélérer le processus d'incinération. À l'époque des premiers chargements, quand seuls les générateurs chauffaient les fours, l'incinération se déroulait plus lentement. Plus tard, au fur et à mesure que le nombre des chargements augmentait, les fours devenaient de plus en plus chauds grâce à la chaleur accumulée pendant l'incinération, de sorte qu'on arrêtait complètement les générateurs pendant qu'on brûlait des corps gras. Des corps mis dans un four aussi chaud, la graisse dégoulinait immédiatement dans le cendrier, elle s'y enflammait et faisait brûler les corps. Quand on brûlait les "musulmans" on était obligé de faire fonctionner les générateurs en continu. Le Vorarbeiter notait dans un calepin le nombre de corps brûlés par chargement, le Kommandoführer SS vérifiait ces notes et emportait le calepin une fois tout le transport brûlé.
Le personnel SS :
Chaque relève de notre Sonderkommando était accompagnée d'un groupe différent de gardiens SS et d'autres Kommandoführer. Parmi ces derniers, je me rappelle les SS suivants : Gorges, Knaus, Kurschuss, Schultz, Köln et Keller. Ce Scheinmetz, que j'ai déjà mentionné, était le Kommandoführer du crématoire IV pendant un certain temps. Tous les Kommandoführer maltraitaient les prisonniers du Sonderkommando qui travaillaient aux crématoires. De temps en temps, ça prenait de telles proportions, qu'une fois, Voss, le chef du crématoire, qui quelques temps plus tard avait été muté à un autre poste, avait réprimandé le Kommandoführer Gorges qui nous maltraitait de manière bestiale, uniquement parce qu'il n'y avait pas de travail aux crématoires car aucun transport n'était arrivé. Il a dit alors : "Wenn du hast nicht was zu umlegen, dann bist du wild, ich habe das schon genug". À part le sus-mentionné Voss, ont été chefs du crématoire à des moments divers : l'Unterscharführer Steinberg, les Hauptscharführer Hirsch et Moll, le Scharführer Puch et l'Oberscharführer Muhsfeld, venu de Lublin après la liquidation du crématoire dans cette ville.
Une description de Moll :
Le plus grand pervers parmi eux était l'Hauptscharführer Moll. Avant mon arrivée au camp, il était chef de travaux dans les Bunkers où on brûlait les gazés dans des fosses. Après, il a été transféré dans une autre unité pendant quelques temps. La direction de l'ensemble des crématoires lui a été confiée à l'occasion des préparatifs pour réceptionner les transports en masse des Juifs hongrois en 1944. C'est lui qui a préparé l'action de destruction massive des gens arrivés par ces convois. Avant même l'arrivée des convois de Hongrois, il a fait creuser des fosses à côté du crématoire V et a remis en marche le Bunker 2, non utilisé, et ses fosses, fermées jusqu'alors. Dans la cour du crématoire, il a fait installer des panneaux où il était écrit que les gens arrivés par les transports devaient aller au camp où du travail les attendait, mais auparavant ils devaient se laver et subir une désinfection. Pour ce faire, ils devaient se déshabiller, mettre tous leurs objets de valeur dans des paniers spécialement prévus à cet effet, placés dans la cour. Il le répétait aussi lui-même lors des cérémonies d'accueil qu'il organisait pour les gens arrivés lors des transports. Ces convois étaient très nombreux et il arrivait que les chambres à gaz du crématoire V ne pouvaient contenir tous les arrivants de ces transports. Il fusillait alors ceux qui restaient et qui ne rentreraient plus dans les chambres à gaz. A de nombreuses reprises, il a poussé les gens vivants dans les fosses qui étaient en train de brûler. Il s'exerçait à tirer à distance sur les gens. Il maltraitait les prisonniers du Sonderkommando, les battait, les traitait comme des animaux. Les prisonnières affectées à son service racontaient qu'ils sortait, à l'aide d'un fil de fer, des coffres où on mettait des objets de valeur volés aux gens arrivés dans les transports, des objets en or, les mettait dans sa serviette et les gardait pour lui. Parmi les affaires laissées par les gens gazés, il choisissait pour lui des manteaux de fourrure et beaucoup de produits alimentaires, surtout de la graisse. A de tels moments, il se tournait en souriant vers les SS qui encerclaient les gens, et leur disait qu'il fallait s'occuper des provisions car des jours maigres finiraient par arriver aussi.
Effectifs des Sonderkommandos :
Sous son commandement, le Sonderkommando a atteint le nombre de 1.000 prisonniers environ. Au début, lorsque j'ai été affecté au travail dans le Sonderkommando, il comptait environ 400 personnes et ce nombre s'est maintenu jusqu'en janvier ou février 44. Durant l'un de ces mois, environ 300 prisonniers ont été envoyés dans un convoi à Lublin. Entre temps, environ 50 nouveaux prisonniers étaient affectés au Sonderkommando par semaine, mais ils étaient si nombreux à mourir que, malgré cette arrivée hebdomadaire, le Sonderkommando ne comptait pas plus de 400 prisonniers. Après l'envoi du convoi à Lublin, nous sommes restés environ 100. Vingt Russes, l'Allemand Karol et le Kapo Russe nous ont été affectés. Plusieurs dizaines de prisonniers ont aussi été transférés dans notre Sonderkommando, entre autres des gens préposés à l'incinération dans le crématoire I à Auschwitz. Le Sonderkommando comptait environ 160 prisonniers au mois d'avril 44. À la fin de ce mois-là, ses effectifs ont été augmentés jusqu'à environ 1.000 prisonniers en raison des convois de Hongrie.
L'évidence de la révolte :
L'attitude de Moll et des SS de son entourage à notre égard, le genre de travail qu'il nous faisait faire, et qui consistait à faire brûler tous ces convois Hongrois, nous ont conduit au désespoir. Après avoir établi le contact avec le camp et le monde extérieur, nous avons décidé de nous insurger et soit de nous libérer, soit de mourir. Nous avons fixé la date au mois de juin 44. Je ne me souviens pas de la date exacte. Notre insurrection n'a pas eu lieu. Comme les préparatifs étaient terminés et des gens, tenus à l'écart jusqu'alors, mis au courant, une fois notre insurrection découverte cette affaire a causé beaucoup de dégâts, et son dévoilement la mort de nombreuses personnes. Le premier fusillé, peu de temps après la date butoir de notre insurrection, a été notre Kapo, Kaminski. Depuis ce jour là, pour empêcher tout contact avec le monde extérieur, on nous a transférés au crématoire IV. Environ 200 prisonniers parmi les transférés ont été sélectionnés et envoyés à la chambre à gaz. Ils ont été gazés dans la pièce de désinfection, le « Kanada » à Auschwitz, et brûlés dans le crématoire II par les SS, ceux-là mêmes qui y travaillaient. La situation devenait de plus en plus difficile pour nous.
La révolte :
Bien que gardés et contrôlés avec une vigilance redoublée, nous avons décidé de nous échapper du camp à tout prix. Après des préparatifs en ce sens, l'insurrection a éclaté en septembre 44 au crématoire IV et s'est élargie au crématoire II. Pendant cette insurrection, nous avons tué 25 à 30 SS au crématoire IV, avant de nous disperser. Avant cela, nous avons mis le feu au crématoire IV et l'avons fait sauter. Une alerte a été déclenchée, des SS ont encerclé tous les crématoires et capturé presque tous les prisonniers en train de se disperser. Suite à cette insurrection, seules environ 190 personnes sur 1 000 sont restées en vie. Les autres ont été regroupés au crématoire III et déplacés ensuite au Block 11 secteur BIId. De là, 100 prisonniers ont été envoyés dans un convoi, 30 autres mutés au crématoire V pour brûler les corps et les 60 derniers habitaient au Block 11 et travaillaient dans l'Abbruchkommando. Ce commando travaillait au démontage des crématoires II et III qui devaient être transportés à Gross Rosen. Quelque temps après, les 30 préposés au travail au crématoire V ont été transférés au Block 11. Ainsi, au moment de la liquidation du camp, ne reste-t-il du Sonderkommando qu'environ 90 prisonniers. Le 18 janvier 45, on nous a fait sortir du camp, nous et les prisonniers des autres Blocks, on nous a fait marcher jusqu'à Auschwitz et de là, en direction du Reich. Après une vingtaine de kilomètres, je me suis enfui et j'ai ainsi sauvé ma vie.
Les médecins au Sonderkommando :
Comme je l'ai déjà mentionné, quatre médecins légistes faisaient partie du Sonderkommando. Au départ, ils ont habité avec nous au Block, ensuite ils ont été placés dans une pièce à côté d'un entrepôt de coke dans le crématoire II. Ces médecins ont procédé aux autopsies dans une pièce spéciale aménagée dans les crématoires II et III situées chacune au rez-de-chaussée. Il y avait là une grande table en pierre sur laquelle les médecins effectuaient les autopsies. Pour ces dernières, on sélectionnait les corps des prisonniers morts à l'infirmerie ainsi que certains cadavres des fusillés dans le couloir situé entre le vestiaire et la chambre à gaz. La plupart du temps, c'était Moll lui-même qui tuait les prisonniers, amenés des Bunkers du Block 11 ou d'Auschwitz. Très souvent, quand on amenait des prisonniers pour les faire fusiller, un Unterscharführer dont j'ignore le nom, arrivait et prélevait sur les cadavres des fusillés de gros morceaux de chair. Il mettait dans des coffres ou dans des seaux les parties de corps humains prélevés au niveau des cuisses ou des fesses et les emportait ensuite en voiture en dehors du camp. Je ne sais pas pourquoi ils le faisaient. Les médecins légistes établissaient un procès-verbal de l'autopsie qui était emporté ensuite par le médecin SS.
Les différents crématoires :
En 1943, c'était à la mi-avril, j'ai été transféré dans le crématoire IV qui était le deuxième à être mis en service à cette époque. Par la suite, toujours dans la première moitié de l'année 43 ans, le crématoire V a été mis en service et à la fin de l'année, le crématoire III. Le crématoire III était construit sur le même modèle que le II à cette différence près que dans celui-ci on n'utilisait pas du tout, et depuis le début, de chariots pour charger les corps dans le four. Dans la pièce à côté de l'entrepôt de coke, où habitaient les médecins dans le crématoire II, dans le III, des Goldarbeiter transformaient en lingots d'or des dents arrachées. Les crématoires IV et V ont été construits d'après les mêmes plans, symétriquement des deux côtés de la route située entre le camp BII et le "Mexique", en direction du nouveau sauna. Chacun de ces crématoires possédait des fours à quatre foyers [moufles]. Les foyers de chaque four étaient disposés 2 par 2 de chaque côté du four. Un générateur chauffait deux foyers, situés dans une moitié de chaque four. Chaque four possédait sa propre cheminée. Aussi bien le vestiaire que les chambres à gaz des crématoires IV et V étaient situés en surface. Le bâtiment où ils étaient placés était nettement plus petit que la hajcownia et il ressemblait plutôt à une annexe du crématoire. Le couloir étroit, adjacent à la hajcownia en direction du vestiaire, était muni de quatre portes intérieures. Celles-ci donnaient accès, à chaque bout du couloir, à la hajcownia et au vestiaire. Il y avait dans le vestiaire quatre petites fenêtres munies de de grillage en fer, côté intérieur. Une autre porte donnait du vestiaire dans le couloir où se trouvait la porte d'entrée de la cour du crématoire. Outre la porte d'entrée, ce même mur avait deux fenêtres. Une autre porte, située en face de la porte d'entrée du couloir menait dans une pièce à une fenêtre qui était la cuisine des SS travaillant aux crématoires. Les plats y étaient préparés par des prisonniers du Sonderkommando. Ces pièces étaient voisines de celles où habitaient les prisonniers du Sonderkommando. Dans le crématoire V, les cordonniers, les tailleurs et les menuisiers du Sonderkommando travaillaient dans cette pièce ; dans le crématoire II en revanche, étaient entreposés les cheveux coupés aux cadavres gazés. Une troisième porte située dans ce couloir menait à un autre, plus petit, qui avait une fenêtre munie d'une grille et une porte donnant sur la cour du crématoire. Une porte située dans ce couloir, à droite de la porte d'entrée, menait à la première chambre à gaz ; une porte située en face de la porte d'entrée menait à une chambre plus petite d'où on accédait à la dernière chambre, la plus grande. Aussi bien ce deuxième couloir que les trois suivants et les toilettes mentionnées auparavant étaient utilisées comme chambres à gaz. Ils étaient tous équipés de portes isolantes, de fenêtres grillagées de l'intérieur et possédaient des volets extérieurs isolants contre le gaz. Par ces fenêtres, accessibles de l'extérieur à un homme, la main tendue, on versait le gaz à l'intérieur des chambres à gaz remplies de gens.
Les chambres à gaz :
Ces chambres à gaz, hautes d'environ deux mètres, munies d'une installation électrique apparente sur les murs, étaient dépourvues d'aération. Les membres du Sonderkommando employés à sortir les cadavres portaient des masques à gaz. On traînait les corps sur le sol en passant par le couloir principal, où les coiffeurs leur coupaient les cheveux, jusqu'au vestiaire qui servait dans ce crématoire de remise à cadavres. C'était un grand atelier où on entreposait les cadavres pour pouvoir nettoyer les chambres à gaz. Du vestiaire, on traînait les cadavres à travers ce petit couloir entre la hajcownia et le vestiaire. À chaque extrémité du couloir, attendait un dentiste qui arrachait les dents en or. Le chargement des cadavres de la hajcownia dans les foyers s'effectuait à l'aide des civières en fer que j'ai déjà décrites auparavant. Derrière la hajcownia se situait la pièce du Kommandoführer et à côté, une plus petite destinée aux autres SS, ensuite un petit couloir, des WC pour les SS et l'entrepôt de coke.
A l'extérieur des crématoires :
Le bâtiment était en pierre, la charpente du toit était en bois et couverte de plaques d'amiante et de carton bitumé. Les cours de tous les crématoires étaient séparées du monde extérieur par des haies et des clôtures serrées en osier sur lesquelles étaient étendus des treillis en paille. Dans la cour, il y avait des tours miradors d'où des SS, mitraillette en main, surveillaient tout. Le terrain était entouré, en plus, de barbelés sous tension électrique et la cour vivement éclairée par des projecteurs.
Au moment des arrivées des Juifs de Hongrie :
En mai 44, les SS nous ont ordonné de creuser, dans la partie de la cour du crématoire V située entre la fosse septique et le bâtiment même du crématoire, cinq fosses dans lesquels on faisait brûler par la suite les gazés des convois de masse hongrois. Des rails et un wagonnet ont été placés entre ces fosses, mais nous n'utilisions pas ce dernier. Les SS les ayant déclarés inefficaces, les prisonniers du Sonderkommando traînaient les corps par terre et les jetaient directement dans les fosses.
À la même époque, l'ancien Bunker 2 et ses fosses ont été remis en fonction. Personnellement, je n'ai pas travaillé dans le Bunker 2. Comme il a été considéré que les fosses se prêtaient mieux à l'incinération des cadavres, les crématoires ont été fermés les uns après les autres. D'abord le IV en juin 44 me semble-t-il, ensuite les II et III en octobre 44. Le crématoire V a fonctionné jusqu'à la fuite des Allemands. Les derniers temps, on l'utilisait pour y faire brûler les corps de détenus morts où tués. Le gazage des gens a cessé en octobre 44.
Mémoires enterrées :
Je ne suis pas en mesure de donner aujourd'hui le chiffre exact de tous les gens gazés et brûlés dans les crématoires et les fosses. Certains prisonniers employés au crématoire notaient le nombre des gazés ou des événements significatifs qui s'y rattachaient. Ces notes ont été enterrées dans différents endroits à côté des crématoires. Une partie de ces notes a été déterrée pendant le séjour de la commission soviétique qui les avait emportés. Mais la plus grosse partie de ces notes devrait toujours être enfouie sous terre et il serait facile de les retrouver. Des photos de gazés dans la chambre à gaz et des convois arrivés au crématoire pour le gazage s'y trouvent, entre autres.
Tentative d'évaluation du nombre des victimes :
Selon les estimations, le nombre total de gazés dans les crématoires d'Auschwitz, pendant la période où j'y ai travaillé en tant que membre du Sonderkommando, s'élève à environ 2 millions de personnes. Durant mon séjour à Auschwitz, j'ai eu l'occasion de discuter avec d'autres prisonniers qui travaillaient dans les crématoires et les Bunkers d'Auschwitz avant mon arrivée. C'est eux qui m'ont dit qu'avant mon arrivée 2 millions de personnes avaient déjà été gazées dans les Bunkers 1 et 2 et dans le crématoire I. Je pense donc que le nombre de gazés à Auschwitz s'élève à environ 4 millions. Ce nombre inclut des transports de Juifs ou d'Aryens de tous les pays d'Europe ainsi que des personnes qui avaient été envoyées à la chambre à gaz à la suite des sélections effectuées au camp.
Démontage des crématoires :
Le démontage des crématoires d'Auschwitz a commencé à l'automne 44. Les parties démontées, entreposées sur une voie de garage, étaient chargées dans des trains. Une partie du matériel démonté est toujours Auschwitz, entreposé sur un terrain de construction qu'on appelle « Banhof » à Auschwitz I. Les Allemands n'ont pas eu le temps de le faire transférer. Il s'agit du wagonnet que j'ai décrit plus haut, des parties de l'installation d'aération, des montants de fours crématoires des crématoires IV et V, des portes métalliques de ces crématoires, des cendriers, des échafaudages et des grilles en fer pour fenêtres, des tisonniers pour les fours, des portes isolantes de chambres à gaz, des porte-manteaux et des bancs du vestiaire et encore d'autres parties métalliques ou en bois.