Photo prise par les Sonderkommandos
Certains points communs se retrouvent entre les différents groupes d’hommes ayant formé les Sonderkommandos qui se succédèrent à Auschwitz et Birkenau.
Tout d’abord dans leur immense majorité, ces hommes étaient Juifs. Les différentes nationalités étaient évidemment représentées à proportion du nombre de déportés voués à l’extermination dans chaque pays. Il y avait également quelques prisonniers de guerre Russes.
Ils furent tous choisis par sélection, soit sur la rampe à leur arrivée, soit plus souvent lors d’une seconde sélection (après quelques semaines de quarantaine) destinée à attribuer un commando de travail à chacun. A partir de là, ils étaient isolés de tous les autres prisonniers en tant que "Geheimnisträger" (porteurs de secret) et même isolés de la plus grande partie des SS. En effet, certains SS étaient affectés aux crématoires, mais ces zones n’étaient pas accessibles aux autres SS. Les personnes blessées ou malades parmi les membres des Sonderkommandos n’allaient d’ailleurs pas au HKB : c’était une «équipe si strictement isolée que ses malades ne pouvaient être admis à l’hôpital» écrit H. LANGBEIN.
Parmi les constantes, on peut également signaler qu'après un premier temps de renouvellement des équipes, une certaine homogénéité des groupes deviendra la règle à partir de la mise en service des crématoires de Birkenau en 1943 : une fois constitués, ils restaient très majoritairement affectés au même crématoire, sous la conduite du même Kapo, avec les mêmes responsables SS.
Le travail qui était imparti aux membres des Sonderkommandos, à partir de 1943, consistait à assister les personnes dans la salle de déshabillage, à enlever leurs affaires de cette salle lorsque les victimes étaient entrées dans la chambre à gaz, puis à sortir les corps des chambres à gaz, à les amener jusqu'aux lieux de crémation (fours ou fosses extérieures), à extraire les dents en or des cadavres (de véritables dentistes de profession étaient parfois choisis lors des sélections pour faire partie des Sonderkommandos) et les dépouiller de tous les bijoux, à couper les cheveux avec lesquels était notamment fabriqué du tissu (des coiffeurs étaient donc sélectionnés également), puis à brûler les corps dans les fours ou dans des bûchers à l’air libre (selon les époques et le nombre de victimes arrivant chaque jour : lorsqu’elles étaient très nombreuses, les fours des quatre crématoires de Birkenau n’y suffisaient pas…), à écraser ensuite les cendres obtenues afin qu'elles soient réduites en poudre (les SS firent fabriquer des tamis spécifiques et un espace pour le damage fut mis en place) et enfin, lorsque la quantité de cendres accumulée entre les K IV et V et derrière le K II était importante, les membres des Sonderkommandos devaient accompagner leur transport en camion pour aller les jeter dans les rivières voisines (Vistule, Sola, Ner).
Il est important de préciser clairement que les membres des Sonderkommandos ne menaient jamais les victimes depuis les trains jusqu’aux chambres à gaz. C’était impérativement un groupe de SS qui s’en chargeait. Lorsque les futures victimes n’ignoraient pas le sort qui leur était réservé, c’était alors un déchaînement de violence dont tous les survivants témoignent avec épouvante.

De même, les membres des Sonderkommandos ne procédaient jamais à l'introduction des cristaux de Zyklon B dans les chambres à gaz, cette action était menée par des SS sous contrôle d'un médecin SS (Mengele remplit souvent ce rôle) qui donnait également l'ordre de réouverture des chambres à gaz après le gazage.
Les membres des Sonderkommandos ne tenaient pas non plus le discours qui avait lieu le plus souvent : "avant de rejoindre une équipe de travail, vous allez prendre un bain désinfectant, puis on vous servira une soupe, … " destiné à ce que le groupe soit rassuré, donc aussi calme que possible, ce qui permettait également la rapidité relative de ces meurtres de masse. Parfois le groupe suivant de victimes attendait déjà son tour…
Ce douloureux moment dans la salle de déshabillage est important pour diverses raisons. Les membres des Sonderkommandos y étaient alors en contact avec les futures victimes (mais selon les époques, les procédures décidées par les SS n'étaient pas tout à fait identiques) et pouvaient donc communiquer avec elles (Shlomo Dragon ou Alter Fayjnzylberg indiquent par exemple une époque où les membres du Sonderkommando étaient enfermés lors de l'arrivée des convois). S'ils devaient être présents, la situation leur était rendue plus intolérable encore lorsqu'ils reconnaissaient des parents, des amis,…
Les SS annonçaient qu’il fallait ranger ses affaires avec soin et retenir le numéro de leur emplacement afin de les retrouver à la sortie (des bancs et patères numérotés furent installés). Ils pouvaient aller jusqu’à détailler ("attachez vos chaussures ensemble par les lacets", par exemple). Cela n'avait en réalité pour but que de permettre de faciliter la récupération et le stockage de tous les biens volés aux victimes lorsqu'ils seraient ensuite envoyés vers le Reich.
Les membres des Sonderkommandos se trouvaient donc en position d’être obligés de se prêter à cette macabre mascarade. Il est arrivé bien entendu que certains annoncent ce qui allait réellement se passer lorsqu’on les suppliait de le faire. Dans ces cas (qui se sont produits à plusieurs reprises), le responsable SS réunissait l’équipe devant l’un des fours et y brûlait vif le membre du Sonderkommando qui avait parlé (après avoir éventuellement torturé la personne à laquelle il avait annoncé son sort, afin qu’elle avoue qui lui avait parlé). En fait, d’après leurs témoignages, il semble que les membres des Sonderkommandos aient généralement convenu que d’annoncer la réalité de ce qui était en train de se produire à leurs semblables n’avait aucun sens puisque plus rien ne pouvait être fait pour l’éviter. Parler devenait alors infliger une souffrance supplémentaire qui n’avait pas de sens. Ainsi les membres des Sonderkommandos avaient-ils eux aussi des raisons de penser qu’il était préférable que tout aille aussi vite que possible puisque aucun espoir n’était plus permis.

Le nombre de personnes ayant fait partie des Sonderkommandos à Auschwitz puis Birkenau ne peut être connu avec certitude. Comme l’écrit Carlo SALETTI (éditeur des Manuscrits sous la cendre en Italie) de ceux qui «vécurent au plus près de l’épicentre de la catastrophe» : «Il n’est pas aisé d’en établir le chiffre exact […] nous pouvons estimer à 2.000 et peut-être plus le nombre total de déportés qui en firent partie». Il est en effet vraisemblable qu’il s'agit là d'une estimation basse lorsqu’on étudie les éléments qui nous sont disponibles (il y a certaines traces du nombre de Sonderkommandos à un moment donné, il y a également les témoignages des survivants, et puis certaines déductions sont possibles lorsque le nombre des arrivants conduits aux chambres à gaz est connu).

On lit souvent que 12 équipes se succédèrent. En fait les choses ne sont pas si simples. Il y eut par exemple des déplacements partiels d’un crématoire à l’autre, comme des éliminations partielles (liées en général à la participation à une activité spécifique).

On retrouve souvent également l’affirmation d’une élimination systématique de l’ensemble des Sonderkommandos tous les quatre mois. Il semble que Miklos NYISZLI (médecin au KII à partir de juin 44) soit à l’origine de cette information fausse -mais qu’il croyait exacte- et qui a été beaucoup reprise (parue dans son livre écrit en 1946). En fait, c’était effectivement le principe : une suppression de tous les témoins par une liquidation totale à laquelle succédait un renouvellement du commando par une nouvelle sélection, mais elle n’a pas été appliquée de façon aussi systématique (du moins en ce qui concerne Auschwitz, parce que, pour Treblinka par exemple, le SS Unterscharführer Franz SUCHOMEL raconte : «on choisissait chaque jour 100 Juifs pour sortir les cadavres et chaque soir ils étaient tués»).

Certains anciens membres des Sonderkommandos ont d'ailleurs survécu aux diverses sélections (c’est le cas de Filip MÜLLER présenté par Claude LANZMANN dans son film Shoah, comme «survivant de cinq liquidations au Sonderkommando», d'Alter FAYJNZYLBERG, des frères Shlomo et Abraham DRAGON, de Milton BUKI, ...).
En fait, il fallait une conjonction de hasards pour passer au travers des sélections au sein des Sonderkommandos. Les prisonniers avançaient jour après jour, accompagnés d’un ressenti contradictoire et permanent : aucun espoir n’était possible, alors même que seul un espoir indéfini et insensé, permettait d’accepter une telle vie. Traverser une sélection n’était que reculer la date de celle qui vous concernerait. Pourtant et malgré tout, mieux valait un "plus tard" qu’un "maintenant". C’est très clair dans l’étude des différents témoignages (aussi bien la certitude que l’on sera tué, que l’espoir de retarder ce moment autant que possible).

De nombreuses actions ont été entreprises par des membres des Sonderkommandos (en liaison avec les mouvements clandestins de résistance à l’intérieur du camp, et à l’extérieur avec des résistants Polonais). Leur principal objectif était d’informer avec précision sur ce qui se passait à Birkenau avec l’espoir de faire cesser les massacres des populations juives. On ne citera que les photographies qu’ils prirent, dont quatre sont désormais connues dans le monde entier, parmi lesquelles celle qui figure en haut de cette page. De nombreuses et diverses autres tentatives furent entreprises et quantité de renseignements sortirent en effet du camp (on se souviendra d’ailleurs de la déclaration des grandes puissances fin 1942, informées de l’entreprise d’extermination des Juifs). Ils eurent par exemple connaissance du projet de déportations massives des Juifs Hongrois qu’ils crurent pouvoir éviter par une information des autorités. Il semble que de nombreux membres des Sonderkommandos ne voyaient de sens à survivre que dans des actions de témoignage, pour le présent comme pour l’avenir.

Et puis il y eut la révolte du 7 octobre 1944, acte désespéré dont nous reparlerons, à laquelle aucun participant direct n’a survécu. Ensuite s’engagea la destruction des crématoires, décidée par la hiérarchie SS devant l’avancée des troupes Soviétiques et le camp fut évacué le 18 janvier 45 dans la panique générale. C’est grâce à ce désordre et cette précipitation que les membres survivants des Sonderkommandos –moins de cent- purent se mêler aux autres prisonniers du camp dans les colonnes des marches de la mort.

 

-> Histoire des groupes de prisonniers membres des Sonderkommandos